De la Calabre au monde entier
La 'Ndrangheta, qui tire son nom du grec ancien "courage", est apparue au XVIIIe siècle en Calabre, une région pauvre à la pointe sud de la péninsule italienne. La structure organisée autour de clans familiaux s'est longtemps cantonnée au racket et aux enlèvements contre rançon.
A partir des années 1970-1980, elle a connu une ascension fulgurante avec le trafic de cocaïne d'Amérique latine, qui lui a permis selon les experts de surpasser les mafias sicilienne (Cosa Nostra, etc.) et napolitaine (camorra).
Selon les magistrats de la lutte antimafia, elle a étendu ses tentacules dans une trentaine de pays dans le monde entier, des Amériques à l'Australie, en passant par le Togo, la Thaïlande, l'Espagne et l'Europe du Nord et désormais de l'Est.
Un mode opératoire redoutable
Si elle ne se prive pas d'user de pressions et de menaces, la 'Ndrangheta, comme les autres mafias italiennes, préfère désormais la corruption aux assassinats. "Les mafias ont transformé leurs victimes en complices", expliquait récemment Rosy Bindi, la présidente de la commission parlementaire italienne antimafia.
Le journaliste Roberto Saviano, spécialiste des mafias dont la vie est menacée en Italie, décrit vendredi dans le journal La Repubblica "l'algorithme" classique d'un développement en partenariat avec des entrepreneurs et des politiques peu regardants.
"La 'Ndrangheta apporte le capital, l'entrepreneur l'investit et le politique favorise l'investissement en échange d'argent et toutes les parties en tirent un avantage exponentiel".
Une richesse phénoménale
En 2014, une enquête réalisée par l'institut statistique italien Demoskopika a évalué le chiffre d'affaires de la 'Ndrangheta à 53 milliards d'euros sur l'année 2013, soit autant que la Deutsche Bank et McDonald's réunis.
Les différentes sources de revenus de la 'Ndrangheta représentent, en cumulé, 3,5% du PIB italien, selon cette enquête reposant sur des données du ministère de l'Intérieur.
Le trafic de stupéfiants représente encore la moitié de ces revenus, mais les coups de filet et placements sous séquestre de ces dernières années ont révélé que la 'Ndrangheta était présente dans la grande distribution, la restauration, le tourisme, le BTP, l'ensemble de la filière agroalimentaire, le sport, l'accueil des migrants, la gestion des déchets...
Une hydre imbattable ?
Les coups de filet se suivent et se ressemblent en Italie et ailleurs dans le monde. Pas un mois sans l'annonce de dizaines d'arrestations, de la mise sous séquestre de millions d'euros. L'évolution de la législation a facilité les condamnations, les conditions de détention des boss sont draconiennes... Et pourtant, les clans continuent de prospérer.
Pour tenter de briser l'omerta et la loyauté au clan, des juges de Calabre ont mis en place ces cinq dernières années une stratégie d'éloignement des enfants des familles de mafieux : à l'âge de 15/16 ans, ces jeunes élevés dans la perspective de la criminalité et de la prison sont placés dans des familles d'accueil, avec un suivi psychologique efficace.
Jan Kuciak, accident de parcours ?
Si elle achète plus qu'elle ne tue désormais, la 'Ndrangheta n'a pas renoncé à la violence et tue même à l'étranger, comme l'a montré l'assassinat en 2007 de six Italiens devant un restaurant à Duisbourg en Allemagne.
Mais pour M. Saviano, le meurtre de M. Kuciak ne porte pas la marque de la 'Ndrangheta, même si elle a pu en être le commanditaire : les mafias italiennes tuent en pleine rue, pas dans la discrétion d'un appartement.
Et face aux journalistes, elles préfèrent attaquer la réputation des personnes plutôt que de donner du crédit à leurs propos en les assassinant. Si elle a choisi de prendre le risque de l'attention médiatique et de la répression en tuant M. Kuciak, c'est probablement "pour couvrir des intérêts plus élevés et complexes", a assuré le journaliste.
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