Conscient de l'émoi suscité par son arrivée dans les campagnes françaises, son conglomérat Reward Group, ne fait aucune difficulté pour accorder une interview, bien au contraire.
"Nous prenons un soin extrême de nos terres. Et pour les cultiver, nous faisons uniquement appel à des Français", assure à l'AFP l'homme d'affaires dans son bureau.
S'il a acquis légalement ces fermes, il a joué sur une faille juridique en achetant la quasi-totalité des exploitations, et non leur totalité. Contournant ainsi le droit de préemption des Safer, qui régule les ventes du foncier agricole. Depuis, une loi sur l'accaparement des terres est passée mais la brèche n'est toujours pas comblée.
"Nous avons acheté environ 3.000 hectares de terres en France" - dont 1.700 hectares dans l'Indre en 2014/2015, puis 900 hectares dans l'Allier en 2017 - car "nous voulons faire de la Chine un marché pour le pain à la française", explique M. Hu.
Le prix ? Pas "excessif", dit-il. Ce que confirme la Safer Auvergne-Rhône-Alpes, même s'il a déboursé quelque 11 millions d'euros rien que dans l'Allier.
"C'est un morceau du patrimoine français qui s'en va mais c'est la mondialisation et c'est à la mode en ce moment. Si ça n'avait pas été les Chinois, ça en aurait été peut-être d'autres", observe Marc Bernardet, agriculteur à la retraite, songeur face aux champs de son nouveau voisin à Thiel-sur-Acolin (Allier).
Lavande et Vache qui rit
Hu Keqin a 57 ans et une fortune de 1,22 milliard de dollars selon le magazine Forbes. Il appartenait encore récemment à l'assemblée consultative du Parlement chinois. Un homme "surprenant", "très affable", "passionné par l'agriculture", venu lui-même dans l'Allier "sentir la terre", selon différents témoignages. Mais quelles sont ses intentions et quels sont ses relais en France ?
Fondé en 1995, Reward est un spécialiste des articles d'entretien et d'hygiène, du soja et du lait en poudre. Présent depuis 2013 aux États-Unis avec une usine de cosmétiques, il cherche à poursuivre son internationalisation en se diversifiant. Comme en Roumanie, où il lorgne sur d'autres terres.
Ses fermes françaises semblent d'abord une vitrine pour rassurer dans un pays traumatisé par des scandales alimentaires en série. Car ce qui l'intéresse surtout, ce sont les industriels. Ces derniers mois, M. Hu a rencontré des dirigeants du groupe Bel (Vache qui rit, Kiri, etc.), de Brioche Dorée (Groupe Le Duff), de Soufflet (meunerie-boulangerie), de Sojasun et deux banques, Crédit Agricole et BNP Paribas.
Hu Keqin, également vice-président de l'association chinoise des industries laitières, évoque des discussions avec Bel "pour importer en Chine leurs fromages" et avec Bigard, numéro un français de la viande, pour "commercialiser en Chine du bœuf français" à l'approche de la levée de l'embargo.
Contacté par l'AFP, Triballat, propriétaire de Sojasun, confirme "une première approche qui n'a pas abouti pour le moment". Les observateurs du secteur, eux, ne sont pas surpris qu'un Chinois s'intéresse au spécialiste français du soja garanti sans OGM.
Pour l'instant, Reward a bouclé au moins deux opérations d'envergure en France. Dans la Drôme, il a pris le contrôle, l'été dernier, d'un fabricant familial de parfums et savons à la lavande, Le Chatelard 1802.
Il s'est surtout associé avec Axéréal, première coopérative céréalière de l'Hexagone. Cette dernière collecte son blé et lui fournit de la farine "made in France", ainsi que son précieux savoir-faire en panification. De quoi assurer l'approvisionnement des 1.500 boulangeries que Hu Keqin ambitionne d'ouvrir en Chine d'ici cinq ans.
Bénédiction de Paris ?
Sollicitée par l'AFP, Axéréal n'a pas donné suite. Sur son site internet, Reward mentionne des coentreprises et relate une visite en décembre de Jean-François Loiseau, président de la coopérative et de l'inter-profession des céréales.
Quelques jours plus tard, le groupe inaugurait à Pékin sa première boulangerie - "Chez Blandine" - dans un luxueux complexe commercial signé de l'architecte-star Zaha Hadid. Sur la photo, Hu Keqin tient fièrement une baguette géante, entouré de trois représentants de l'ambassade de France, dont le conseiller agricole.
Le milliardaire évoque volontiers ses "bons contacts" avec les autorités françaises. "Nous avons eu des communications spéciales avec le ministère de l'Agriculture, ainsi que des échanges avec les collectivités", précise-t-il en parlant d'un "fort soutien".
Jeudi pourtant, à deux jours du Salon de l'agriculture, le cheef de l'Etat français Emmanuel Macron a promis de mettre en place des "verrous réglementaires" aux rachats de terres.
"C'est un investissement stratégique dont dépend notre souveraineté, donc on ne peut pas laisser des centaines d'hectares rachetés par des puissances étrangères sans qu'on sache la finalité de ces rachats", a lancé le président, en s'exprimant pour la première fois sur ce sujet qui heurte le modèle familial de l'agriculture française.
Reste désormais à M. Hu à remporter son pari chez lui. Le marché chinois est certes colossal mais il est dominé par des chaînes commercialisant brioches fourrées et gâteaux adaptés aux goûts locaux.
Car au pays du riz et des raviolis vapeur, les repas s'accompagnent rarement de pain.
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