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Le carême c'est aussi la poésie de l'âme !

Cette «obscure clarté » dont nous parle Colette Nys-Mazure est le rapport au temps, au couple, à la famille, à l’amitié, à la société, au monde à feu et à sang...Mais aussi pour être à l’écoute des voix d’espérance envers et contre tout, redire la saveur de la vie...

Le carême c'est aussi la poésie de l'âme !
Colette Nys-Mazure - Lison-Leroy

Colette Nys-Mazure est une écrivain belge, qui intervient à la fois dans les domaines de la littérature et de la spiritualité, de la poésie aussi. Elle a publié de nombreux livres à succès dont Célébration du quotidien, Contes d’espérance, L’âge de vivre, L’enfant neuf et cette obscure clarté publiée chez Salvator en 2018...Membre de l’Académie catholique de littérature, elle collabore à la rédaction de plusieurs revues dont notamment Panorama ou La Croix. Pour l'occasion, avec l'encre de la poèsie,  elle répond avec une beauté sensible aux questions de Jean-Luc Lefrançois.


Colette Nys-Mazure (Piste 1)


Colette Nys-Mazure (Piste 2)

Cette «obscure clarté » dont nous parle Colette Nys-Mazure n’est pas tant l’évocation d’un célèbre vers de Corneille qu’une méditation sur l’expérience personnelle du vieillir ancrée sur le quotidien, du passage du 3e au 4e âge avec cette écriture qui n’appartient qu’à elle. Aujourd’hui, bien des romans mettent en avant des figures de personnes âgées comme Ensemble c’est tout, mais aucun ne s’arrête sur la dimension existentielle et spirituelle (...) pour en savoir plus Editions Salvator

et les éditions Editions Desclée de Brouwer

 

Pourquoi cette passion pour la poèsie ?


J'y trouve aussi une extraordinaire densité, mais qui jamais n'étouffe. Un air circule entre les mots, toujours à bonne distance les uns des autres, et au détour d'une ligne, c'est la rencontre : une image plus lumineuse, plus musicale. Quand je disais poésie très concrète, sensuelle je pensais aux derniers mots de « La cuisine du poète », une tranche de poésie dans le pain tout chaud des jours, avec en plus cette humilité...
J'ai toujours eu le sentiment que les mots de la poésie ne m'appartiennent pas, ils me traversent. Pour le moment, un peu de poésie passe par moi, mais je n'ai aucun sentiment de propriété vis-à-vis des mots. 

Ce sont des emprunts furtifs, des cadeaux ?

Oui, je me rends compte que je dois beaucoup aux autres, aux poètes que j'ai lus, comme Marie Noël, Reverdy, Saint-John Perse, Claudel, Char, Chédid… Ils m'ont nourrie, c'est sûr, et je suis contente quand mes poèmes en suscitent d'autres. J'ai toujours l'impression d'un fleuve, il y a un moment où tu nages dans le fleuve. Par exemple ce livre-ci (Célébration du quotidien), qui comprend des poèmes mais c'est surtout de la prose, a beaucoup de lecteurs. Ceux-ci me disent “tu vas revenir à la prose”. Je leur dis non. Ce n'est pas parce que ce livre est écrit en prose, parfois en prose poétique, que je vais renoncer à la poésie, la poésie c'est ma langue. 

Le rythme de l'enfance et de son émerveillement

On trouve dans tous tes textes des thèmes récurrents, l'amour, l'enfance, l'écriture dont il est aussi souvent question, mais surtout deux lignes mélodiques dominantes qui sont celles du partage et de la solitude.
Oui, bien sûr. Je pense que cette expérience initiale de rupture y est pour beaucoup. Il y a l'enfance avant et l'enfance après, malgré tout. J'ai fait l'expérience de la solitude. Quand les deux êtres sur lesquels tu t'appuies disparaissent tout à coup, même si d'autres personnes t'entourent, très vite tu sais ce que sont la mort et la solitude. 

Légéreté et gravité ou la saveur des mots ?

En t'écoutant le mot plénitude me vient à l'esprit. Il m'est suggéré par le titre de l'un de tes poèmes « femme de papier de paille de plénitude ». Il en contient pour moi deux autres, légèreté et gravité, au sens que j'ai envie de lui donner, ici, de racines.
C'est quelque chose que je sens très fort l'enracinement des femmes et la possibilité qu'elles ont d'enraciner leurs enfants, d'enraciner leurs actes, mais en même temps elles doivent et elle savent se dégager, accorder la liberté plutôt que de retenir près de soi. J'aime tant ce proverbe : « Les parents ne peuvent que deux choses pour leurs enfants, leur donner des racines et leur ouvrir les ailes. » 

Le silence c'est aussi précieux que l'air 

A la fois elle me devance et elle m'escorte. Elle me devance parce que c'est vraiment ce qui me tire du lit le matin. Le jour où je n'ai pas écrit, je suis de mauvaise humeur. J'ai vraiment besoin de ça, comme de l'air que je respire. Si je ne peux avoir ma dose d'écriture, ma dose de poésie surtout, il me manque quelque chose de vital. Mais en même temps je lis énormément de poésie, par goût, et je dois tout le temps me battre pour arriver à garder mon territoire. Pas seulement matériel pour avoir ce temps à moi pour écrire, mais psychologique. A partir du moment où le monde autour de moi me sollicite, même les proches, quelque chose se défait, je perds cette virginité qui m'est nécessaire. Il faut, momentanément, que je me préserve de ce qui peut entraver l'écriture, la créativité. J'ai besoin d'un cercle de silence. Pourtant, et c'est contradictoire d'une certaine manière, je peux écrire dans le train entourée de gens, pour autant qu'on ne me parle pas... 

la solitude dans la foule, tant qu'il n'y a pas d'appel...
C'est cela, on n'attend rien de moi. Je trouve que c'est ce qu'il y a de plus difficile dans ma vie, de m'assurer de ces temps d'écriture. Je les défends sauvagement, farouchement, mais je garde une forte culpabilité. 

Est-ce que l'écriture mêlée va jusqu'à la réécriture des textes de l'autre ?

Pas exactement. Par exemple pour L'eau des fêtes, chacun a écrit sur le carnet commun, à tour de rôle, puis on s'est retrouvés pour reprendre les textes ensemble, chacun lisant le texte de l'autre. De sorte qu'il y avait trois juges. On se faisait des remarques, des suggestions. L'auteur du texte prenait ou refusait les propositions. L'autre étape a consisté à trouver le fil qui courait d'un texte à l'autre, sans se préoccuper du nombre de textes appartenant à chacun. Finalement la responsabilité de la suite m'a été confiée. 

C'est donc devenu une matière commune, où la part de soi n'avait plus vraiment d'importance.
Ceux qui veulent au bout du compte retrouver les trois fils peuvent se repérer grâce aux différences de typographies ou de mises en page. Les miens ont un titre entre parenthèses. 

Comment les hommes reçoivent-ils votre poésie ?


J'ai eu d'excellentes réactions. Un enseignant aux États-Unis qui a travaillé le poème en prose avec ses étudiants a été tout à fait conquis par Singulières et plurielles.Lors d'un séjour en France, il est venu enregistrer ma lecture des poèmes qu'ils avaient sélectionnés. Je pense que j'ai largement autant d'hommes que de femmes qui me lisent. 

Justement, que diriez-vous à ceux qui pensent que la poésie est sacrée, hermétique, inaccessible ?

Je sais que beaucoup de gens sont coupés de la poésie depuis Rimbaud et les surréalistes. Il y a une espèce d'intimidation du lecteur ; de grands poètes populaires comme Aragon, Prévert, Eluard ne courent plus les rues, et les gens se tiennent à l'écart. Je constate que autant ce livre (Célébration du quotidien) a de nombreux lecteurs, autant mes recueils de poèmes ont un lectorat plus faible, pourtant je ne dis rien d'autre que ce que je disais là. Simplement la forme les appelle d'avantage. Je suis certaine que la poésie peut toucher les lecteurs pour autant qu'on les initie. 

Donc l'accès à la poésie se ferait autant par l'écriture que par la lecture.

Je ne dissocie jamais la lecture et l'écriture. Moi-même, quand je suis entre deux eaux, je lis des poésies très différentes (la poésie suédoise par exemple) parfois des textes très rébarbatifs pour rencontrer d'autres sons et voir d'autres masses d'écriture. Je dis “masses” parce que la vision des mots (en chinois, en russe) sur la page m'impressionne. 

Merci à Nicole Bajulaz-Fessler

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