Piliers de la Berlinale, le festival du film de Berlin qui a démarré jeudi, Ulrich et Erika écument bras dessus, bras dessous, les salles de cinéma depuis soixante ans.
"Nous avons vu des milliers et des milliers de films ensemble (...) Nous en regardons cinq, parfois même six par jour (lors d'un festival). Et quand on ne regarde pas de films, on en parle", confie à l'AFP Ulrich, 85 ans.
Une passion commune qui a cimenté le couple au fil des ans et continue de le nourrir, après presque six décennies de mariage.
Tout commence un jour de 1957, à l'Université Libre de Berlin, en plein Berlin-Ouest, lors d'une projection animée par Ulrich qui oeuvrait au sein du ciné-club universitaire. "C'était +Les Hommes du dimanche+", un film allemand muet de Robert Siodmak, sorti en 1930, se souvient-il.
Dans le public, il remarque "une femme aux opinions très tranchées". "Tout le monde avait adoré le film mais moi, je le trouvais sexiste et je l'ai dit", se souvient l'intéressée, Erika, 83 ans désormais.
"Il y a eu un débat houleux mais je n'ai pas abandonné. A la fin, je suis sortie et (Ulrich) m'a couru après pour me dire +Revenez la prochaine fois!+", raconte cette petite femme immédiatement tombée sous le charme d'Ulrich, qui faisait deux têtes de plus qu'elle.
Films polonais et vodka
"Je trouvais qu'il était le plus intelligent de tous. Et je pense que l'intelligence est quelque chose de merveilleux. Surtout chez les hommes qui, en général, ne le sont pas beaucoup", ironise Erika, qui intègre alors la direction du ciné-club de la faculté.
Tous deux sont des littéraires. Elle a étudié l'allemand, l'anglais, l'histoire et la philosophie, à Göttingen, Londres, Munich et Berlin. Lui, le journalisme, les langues romanes et le cinéma, à Hambourg, Paris et Berlin.
Une année, Ulrich découvre le cinéma polonais au festival de Cannes et s'emballe pour les créations d'Andrzej Wajda et d'Andrzej Munk.
Pourquoi ne pas diffuser à Berlin des films venus de derrière le Rideau de Fer?, lui suggère alors Erika. Pas si simple dans une ville certes pas encore coupée en deux par le Mur mais déjà épicentre des tensions entre Est communiste et Ouest capitaliste.
"On a sauté sur une Vespa et on a foncé à la Mission militaire polonaise à Berlin-Est", explique Erika. "On leur a expliqué que nous étions étudiants et qu'on voulait projeter des films polonais."
Surpris, les Polonais offrent un verre de vodka aux étudiants, avant d'accepter de prêter quelques copies.
Les projections s'avèreront compliquées à organiser, Guerre froide oblige. Mais le style "rentre dedans" d'Erika combiné à l'onctuosité diplomatique de son époux sauront vaincre les résistances.
Le couple se marie en 1960, un an avant la construction du Mur de Berlin. Ils entraîneront par la suite leurs deux enfants dans leur boulimie de films.
"Nous avons eu de la chance, ils auraient pu détester le cinéma qui leur enlevait leurs parents. Mais les enfants se sont habitués et nous les avons élevés comme ça", explique Ulrich.
Lorsqu'ils courent les festivals, les Gregor le font en famille: Venise, Locarno, Moscou, Cannes, où le couple continue à se rendre chaque année.
Amours tragiques
Figures de la scène cinématographique berlinoise, les Gregor ont écrit sur l'histoire du cinéma: livres, articles de journaux, programmes de festival... Ils ont aussi fondé la salle Arsenal, qui est l'un des temples du 7e Art à Berlin, et dirigé la section Forum de la Berlinale, dédiée à l'avant-garde.
Ils ont défendu des réalisateurs comme le hongkongais Wong Kar-wai, le Grec Theo Angelopoulos, le Finlandais Aki Kaurismaki ou les Belges Jean-Pierre et Luc Dardenne.
De leur propre aveu, l'amour est un sentiment difficile à capter par une caméra.
"C'est quoi, l'amour? Du respect, de l'affection, de la confiance. Mais les histoires d'amour qu'on aime voir à l'écran sont toutes tragiques", note Erika, qui dit son admiration pour des films comme "Amour", de l'Autrichien Michael Haneke, ou "Le Cri", de l'Italien Michelangelo Antonioni.
Quant à Ulrich, il confie qu'à ses yeux, rien n'est aussi fort que le début d'un film. "Quand la salle devient sombre et que l'image apparaît, c'est un sentiment initial qui ne faiblit jamais. Vous être électrifié à chaque fois."
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