Quelque 70.000 Kosovars albanais vivent là, pour la plupart au sud de la rivière Ibar. Au nord, 12.000 membres de la minorité serbe refusent cette indépendance célébrée samedi.
Les deux communautés se toisent plus qu'elles ne se côtoient.
"Vous trouverez des jeunes qui n'ont jamais vu un Serbe ou un Albanais...", dit Besim Hoti, un Albanais, chef-adjoint de la police du nord du Kosovo (majoritairement serbe) depuis la création en 2013 d'une force de police intégrée.
Ceux qui parlent la langue de l'autre sont de plus en plus rares, dit-il. Pour faire se rencontrer des jeunes, Afërdita Sylaj-Shehu, de l'ONG Community Mitrovica Building, raconte qu'elle les appâte avec un "outil": des cours d'anglais pour qu'ils se comprennent.
Elle-même répugne à passer le pont qui relie nord et sud, où sont disposés des blocs de béton. Surveillé par les forces internationales, l'ouvrage reste symbole de division. S'ils ne sont plus accueillis par des pierres, les piétons l'empruntant restent peu nombreux.
Côté serbe, les drapeaux rouge-bleu-blanc flottent face à une statue monumentale érigée en 2016: le roi Lazar, incarnation de la geste nationaliste serbe, pointe un doigt impérieux vers le sud. "Le Kosovo c'est la Serbie", lit-on sur un mur proche.
En face, Kalachnikov dans le dos, un bronze d'un guérillero de l'Armée de libération du Kosovo (UCK), Shemsi Ahmeti, monte la garde près de la mosquée. A chaque communauté son vieux cimetière, situé dans le camp d'en face: peu s'y risquent seuls.
Peur de l'inattendu
Mitrovica est divisée depuis la guerre entre forces serbes et rébellion indépendantiste de l'UCK, qui avait fait plus de 13.000 morts, dont 11.000 Albanais (1998-99).
L'ère des émeutes comme celles de 2004 et 2008 semble révolue. Mais "quand on vient ici, il y a toujours la peur de quelque chose de mauvais et d'inattendu", dit Hamdi Pllana.
Décrivant une angoisse semblable à celle ressentie face à "une meute de chiens errants", ce retraité albanais de 61 ans traverse une passerelle enjambant l'Ibar pour rendre visite à sa fille dans le quartier des "Trois tours", rare poche mixte de Mitrovica-nord.
"Tu vas au lit la peur au ventre, tu te réveilles la peur au ventre. Les Albanais vont-ils attaquer? Ou certains des nôtres?", dit Natalija, 28 ans, qui refuse de donner son nom. Mitrovica "vit sous le régime du cessez-le-feu, pas de la paix", dit-elle.
Quatre mois avant son assassinat le 16 janvier, le politicien serbe Oliver Ivanovic décrivait un climat "de danger et de peur": les habitants de Mitrovica-nord "ne craignent pas les Albanais, mais les Serbes, des brutes locales et des criminels qui se baladent en 4x4 dépourvus de plaque d'immatriculation".
La concentration de policiers à Mitrovica-nord est pourtant impressionnante: 120 pour 5 km2... Dix sont affectés à l'enquête sur l'assassinat.
L'adjointe d'Ivanovic, Ksenija Bozovic, est convaincue que les tueurs ne seront jamais retrouvés: "le silence règne sur la ville."
'Ce n'est plus le Far West'
"L'angoisse est notre maladie", observe Lumnije Terziqi, 50 ans, chômeuse albanaise qui vit aux "Trois tours".
"La situation est meilleure, mais ça peut basculer en une nuit", dit sa soeur Elmaz Hasani qui a emménagé en 2012: son propriétaire albanais avait fui après la mort d'un homme, tué chez lui par une grenade jetée par des inconnus.
Seul son loyer modeste de 130 euros la retient. Comme tout le monde à Mitrovica-Nord, elle ne paye ni impôts, ni électricité, les institutions kosovares renonçant à recouvrer ces sommes. Mais pour ses courses, elle évite le marché serbe proche et emprunte la passerelle sur l'Ibar.
"Si vous venez à Mitrovica pour la première fois, vous verrez un million de problèmes. Si vous y avez toujours vécu, vous verrez un million de progrès", tempère le policier Besim Hoti.
Désormais, ses hommes peuvent patrouiller dans Mitrovica-Nord en uniforme de la police du Kosovo. Depuis décembre, un tribunal composé de magistrats des deux communautés, est chargé de juger Serbes et Albanais. "Les gens ici ne savaient pas ce que signifiait répondre de ses actes...", "Ce n'est plus le Far West", promet-il.
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