Malgré un beau soleil matinal d'hiver qui en magnifie les couleurs, l'île de Bréhat est saisie par le froid. Mais entre les vieilles pierres de leur atelier, les verriers travaillent en short et tee-shirt dans la chaleur des fours. Ils en sortent avec une précision mécanique quelques uns des 2.300 boutons de meuble et de porte destinés à l'hôtel Martinez de Cannes.
"La difficulté, c'est de conserver une homogénéité de la première à la dernière pièce, alors que tout est fait à la main, au ressenti", relève Stéphane Neumager, qui a pris en début d'année la succession de son père, Yves, à la tête de l'entreprise insulaire.
"On ne verra pas forcément le modèle installé sur place", sourit, penché sur sa canne de souffleur, le chef de l'atelier, Frédéric Augern, pas vraiment habitué à dormir dans des palaces. "C'est valorisant de travailler dans le luxe, pour des clients prestigieux, même si les exigences sont élevées."
Passé par la cristallerie Baccarat, dans l'est de la France, cet Auvergnat ne se lasse pas, depuis trois ans, de prendre chaque matin pendant une dizaine de minutes le bateau qui dessert l'île de Bréhat depuis la pointe de l'Arcouest sur une mer aux reflets changeants: "C'est mieux que le métro".
Une 'signature' or et argent
Kinésithérapeute dans une première vie, propriétaire de plusieurs boîtes de nuit dans une deuxième, Yves Neumager a choisi ce joyau granitique des Côtes-d'Armor, pour démarrer sa troisième vie.
Des herbes folles ont envahi depuis longtemps l'ancienne citadelle de l'île, en ruines, lorsqu'il décide d'y aménager, en 1998, une verrerie à vocation touristique. La clientèle est cependant trop saisonnière, au point de mettre l'entreprise en péril les premières années, jusqu'à ce que plusieurs couples de visiteurs ne passent commande de boules d'escalier en verre.
C'est le déclic. L'entrepreneur breton flaire un marché et s'y engouffre. "Conforté par la clientèle", il se diversifie et séduit architectes d'intérieur et décorateurs renommés qui n'hésitent pas à "prescrire" ses produits aux plus luxueux hôtels de la planète, de Dubaï à Hong-Kong.
Malgré les contraintes logistiques posées par leur emplacement, les Verreries de Bréhat exportent aujourd'hui 28% de leur production et comptent sur leur "carte de visite" une cinquantaine de boutiques Dior Couture à travers le monde.
Avec comme "signature" un "travail léger" de feuilles d'or et d'argent, en veillant à ne pas verser dans le "vulgaire", Yves Neumager est fier d'avoir donné une "identité" à sa verrerie. "On parle désormais dans le milieu de 'Bréhat' comme on dit du 'Baccarat'. C'est une victoire", se félicite-t-il assis derrière son ancien bureau.
Passage de témoin
Le septuagénaire à l'œil vif et rieur a passé en janvier la main à son fils, Stéphane, qui travaille depuis plusieurs années déjà à ses côtés après avoir, lui aussi, connu plusieurs vies, dans la banque et le streetwear.
Le nouveau patron des Verreries et de leur quinzaine d'employés entend, à 42 ans, "perpétuer le travail qui a été fait en y apportant une touche personnelle".
Sa priorité: la construction d'un site internet marchand, avant de poursuivre dans un second temps le développement à l'international, "en conjuguant tradition et technologie".
"On souhaite allier à notre base de départ, le verre, différents matériaux, comme le bois et le béton, afin de créer, en collaboration avec d'autres corps de métier, des objets cohérents à vocation décorative", explique-t-il.
Des objets à mille lieues des bibelots, souvenirs et autres poissons exotiques toujours exposés dans la boutique de la citadelle. Les derniers témoins des débuts purement touristiques de la verrerie bréhatine.
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