Ses hautes tours au style gothique dominent encore le Bosphore et l'imposante façade a survécu à un siècle d'une histoire parfois tragique - la Première Guerre mondiale et la chute de l'Empire ottoman, la déportation des Arméniens, plusieurs coups d'Etat, un incendie qui a détruit la toiture en novembre 2010...
Mais depuis cinq ans, plus aucune locomotive n'est entrée en gare.
Le bâtiment est fermé pour restauration, or les travaux traînent en longueur et les rumeurs de vente ou de transformation en hôtel ou en centre commercial - des options évoquées par des responsables politiques dans le passé - vont bon train.
Les défenseurs du patrimoine s'inquiètent d'une telle éventualité et nombre d'entre eux se mobilisent, manifestant chaque semaine pour préserver cette gare inscrite en 2012 sur la liste des sites menacés par l'ONG Fonds mondial pour les monuments.
Mais ces défenseurs ainsi que des élus locaux et la société publique des chemins de fer (TCDD) assurent à l'AFP que les trains reviendront bien à Haydarpasa.
"Les premiers trains arriveront en 2019", affirme Aykurt Nuhoglu, le maire du district de Kadiköy où se trouve la gare à Istanbul. La gare "restera une propriété publique. Il y a eu des débats, mais le risque (d'une privatisation) est écarté", dit-il.
'Une gare, rien d'autre'
Un responsable de la TCDD, qui a requis l'anonymat, l'assure également : "Haydarpasa est en cours de restauration pour être une gare, rien d'autre n'est envisagé".
Une fois rouverte, elle est censée devenir une plaque tournante pour les trains de banlieue, ainsi que le terminus des nouveaux trains à grande vitesse venant d'Ankara, qui s'arrêtent actuellement à la gare de Pendik, très éloignée du centre-ville.
Inaugurée en 1909, cinq ans avant la Première guerre mondiale, Haydarpasa a été conçue par deux architectes allemands et se voulait un symbole de l'amitié entre l'Empire ottoman et l'Allemagne impériale de Guillaume II.
Guillaume II aspirait alors à étendre son influence au Moyen-Orient et avait scellé une amitié solide avec le sultan Abdulhamid II.
Il rêvait d'un train allant de Berlin à Bagdad, en passant par Constantinople (Istanbul), Alep et Mossoul, avec un embranchement vers Damas.
Le 24 avril 1915, épisode sombre de son histoire, la gare fut le point de départ du premier convoi d'Arméniens rassemblés à Istanbul et déportés. La Turquie a toujours nié que les massacres qui ont suivi constituaient un génocide, comme l'affirment nombre d'historiens.
Jusqu'à sa fermeture récente, Haydarpasa était une gare animée, où s'arrêtaient des trains de banlieue ainsi que des trains de nuit cheminant vers l'est du pays, à Kars ou Van, et jusqu'à Téhéran. C'était aussi le point de départ du Taurus Express, une ligne reliant Istanbul à Bagdad en passant par Alep, évoquée en ouverture du "Crime de l'Orient Express", célèbre roman d'Agatha Christie.
'Droit d'opposition'
Ceux qui militent pour la préservation de la gare sont convaincus que seule la mobilisation de la société civile a permis de contrer "les tentatives de transformation (du site) en un centre commercial ou un port de croisière", comme le dit Ishak Kocabiyik, ancien Secrétaire général du Syndicat des travailleurs des transports unis.
"Nous avons jusqu'à présent coupé court à de tels projets en usant de notre droit d'opposition", affirme-t-il, en insistant sur la situation stratégique de la gare pour le réseau ferré.
"Nous resterons ici jusqu'à ce que tous les trains s'arrêtent à nouveau (à Haydarpasa) et, alors seulement, nous mettrons un terme à notre mobilisation", promet l'avocat Ersin Albuz, très engagé sur cette question et convaincu d'oeuvrer pour l'Histoire.
Au-delà de cette gare, certains architectes accusent le gouvernement, sous la direction du président Recep Tayyip Erdogan, ancien maire d'Istanbul, de saccager le patrimoine historique de la ville au nom de la modernisation.
Les autorités, elles, assurent qu'il s'agit uniquement de doter la mégalopole des infrastructures nécessaires. Le réaménagement du réseau ferroviaire s'inscrit dans ce cadre. Ce réseau a tellement peu évolué en un siècle --entre le début du XXe et les années 2000-- que les Turcs lui préfèrent l'avion et l'autocar.
Sami Yilmaztürk, le responsable de la branche stambouliote de l'Ordre des architectes turcs, très critique des projets d'infrastructures du gouvernement, n'entend pas baisser la garde. La gare de Haydarpasa est selon lui une "porte d'Istanbul sur l'Europe". "Aujourd'hui elle est restaurée en tant que gare, mais je crains que cela ne change à nouveau dans deux jours."
A LIRE AUSSI.
Le Grand Bazar d'Istanbul veut retrouver sa gloire d'antan
A Kirkouk en Irak, le rapport de force entre communautés a changé
Les Kurdes d'Irak votent pour un référendum historique d'indépendance
Le musée national de Beyrouth exhume les trésors de son sous-sol
Le musée national de Beyrouth exhume les trésors de son sous-sol
Envie d'afficher votre publicité ?
Contactez-nousEnvie d'afficher votre publicité ?
Contactez-nous
L'espace des commentaires est ouvert aux inscrits.
Connectez-vous ou créez un compte pour pouvoir commenter cet article.