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Dans le centre du Nigeria, agriculteurs et éleveurs "ne peuvent plus" vivre ensemble

Assis sur un banc, le vieil Alhadji Madu Maji râcle la poussière de ses pieds nus pour tromper l'ennui. Il ne reste guère plus d'une poignée de vaches avec la peau sur les os dans les enclos du marché à bétail de Makurdi, dans le centre du Nigeria.

Dans le centre du Nigeria, agriculteurs et éleveurs "ne peuvent plus" vivre ensemble
Madu Maji, le patron du marché au bétail de Makurdi, le 4 janvier 2018 - PIUS UTOMI EKPEI [AFP/Archives]

"Nos vaches ne peuvent plus paitre en brousse et elles meurent de faim. Les éleveurs ne viennent plus ici", affirme Madu Maji, patron du plus grand marché de l'Etat de Benue, où, dit-il, seule une dizaine de bêtes sont vendues chaque jour, contre plusieurs centaines auparavant.

Ces derniers mois, les éleveurs et leurs troupeaux ont tous déserté l'Etat de Benue. Ou presque. Ils ont été chassés par une guerre pour l'accès aux ressources et une récente loi interdisant la transhumance, pratique séculaire pourtant nécessaire à la survie du bétail.

Les terres fertiles du centre, irriguées par un vaste réseau de rivières, attirent durant la saison sèche des milliers de bêtes migrant depuis les zones sahéliennes de toute l'Afrique de l'Ouest à la recherche de pâturages.

Un phénomène accentué par la désertification, et source de tensions dans un pays où les espaces sont saturés par l'explosion démographique. Le Nigeria accueille déjà près de 200 millions d'habitants et devrait devenir le 3e pays le plus peuplé du monde en 2050.

La région est devenue le théâtre d'affrontements quasi-quotidiens entre les agriculteurs sédentaires, chrétiens de l'ethnie Tiv, et les éleveurs, majoritairement peuls et musulmans. Plus de 100 personnes ont été tuées depuis début janvier, et près de 100.000 autres ont du fuir leurs foyers, selon l'agence locale de gestion des urgences (Sema).

Après des mois d'inaction des autorités fédérales, l'armée nigériane a annoncé un déploiement imminent dans plusieurs Etats du centre, dont Benue, pour mettre fin aux violences.

'Grenier de la Nation'

Adams Nicholas a tout perdu lorsque des "tueurs peuls" armés de kalachnikovs, de pistolets et de bâtons ont encerclé son village d'Ancha, la nuit du 4 janvier.

"Ils sont arrivés nombreux avec leur bétail et ils ont commencé à tirer. Deux personnes ont été tuées et nos maisons ont été brûlées, ils ont tout détruit", raconte cet enseignant de 30 ans qui s'entasse avec plus de 10.000 autres déplacés dans l'école primaire de Gbajimba, à une quarantaine de km de Makurdi, la capitale régionale.

A des kilomètres alentour, des dizaines de localités poussiéreuses aux maisons calcinées ont été vidées de leurs habitants, d'autres vivant au rythme d'un couvre-feu nocturne.

"Nous avons toujours laissé brouter leurs vaches autour de nos fermes. Mais on ne peut plus vivre ensemble. Ce sont des animaux", lâche Adams.

Dans l'Etat de Benue, surnommé le "grenier alimentaire de la nation", la crise prend un tour ethnique et religieux, alors que de plus en plus de Tiv affichent ouvertement leur haine à l'égard des Peuls, accusés de lancer des raids armés depuis les Etats voisins et de piller les récoltes.

"Notre peuple dépend largement de l'agriculture. Nous n'avons pas d'industrie ici. Si vous enlevez l'agriculture aux gens, c'est comme si vous leur ôtiez la vie", affirme à l'AFP le gouverneur de Benue, Samuel Ortom, un Tiv à l'origine de la loi controversée interdisant le pâturage libre.

"Nous avons exploré toutes les options, le dialogue, des rencontres, mais les tueries ont continué", insiste Ortom, pour qui la seule alternative possible est la création de fermes d'élevage clôturées. "Cette loi va apporter la paix, c'est gagnant-gagnant pour les agriculteurs et pour les éleveurs".

Négligence

Depuis son entrée en vigueur au mois de novembre, la mesure est au centre d'un bras de fer entre les autorités et les puissants syndicats d'éleveurs qui continuent de revendiquer une vie nomade et exigent son retrait pour permettre le retour des troupeaux à Benue.

En attendant, la ligne rouge est bien réelle. Pour apercevoir les bergers et leurs immenses cheptels, il faut remonter dans l'Etat voisin de Nasarawa, où les marchés à bestiaux grouillent d'activité.

Les éleveurs dénoncent de leur côté la création de milices chrétiennes armées qui s'en prennent au bétail, affirmant que la loi n'a fait qu'envenimer le conflit. Depuis des mois, pasteurs et politiciens locaux encouragent d'ailleurs les agriculteurs à se défendre par eux-même lors de violentes diatribes anti-peuls.

"Les pasteurs n'ont jamais attaqué en premier les villages, ils n'agissent que par vengence", assure Muhammed Hussaini, de l'Association nigériane des éleveurs de bétail de Miyetti Allah, brandissant des vidéos montrant des dizaines de cadavres de bovins soi-disant abattus par des agriculteurs.

Pour le syndicaliste, l'élevage est le parent pauvre de l'économie nigériane, qui a souffert d'années de négligence de la part des gouvernements successifs: "La plupart des routes réservées à la transhumance sont aujourd'hui cultivées, les gens construisent même leurs maisons dessus. Et personne n'a jamais mis en place les réserves censées être dédiées au pâturage dans l'Etat de Benue".

A 39 ans, Adamu Mohamed Juda, Peul sédentarisé, n'a jamais connu d'autre terre que celle de Makurdi, où il est né. "Nous vivions en paix avec les Tiv depuis des décennies. Nous mangions ensemble, nous dormions ensemble", dit cet éleveur, qui se demande encore "comment on a pu en arriver là".

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