Un premier compte en Suisse, puis un transfert à Singapour via des sociétés offshore immatriculées dans les mers du Sud: cette fraude sophistiquée de l'ancien héraut de la lutte contre l'évasion fiscale restera comme le plus retentissant scandale du mandat de l'ancien président François Hollande.
Une onde de choc, "un électrochoc salutaire" selon l'ONG Transparency International, qui allait favoriser l'instauration de règles éthiques en politique et aboutir à la création d'un parquet national financier, d'une agence anticorruption et à une loi de moralisation de la vie publique.
Dans son jugement du 8 décembre 2016, le tribunal correctionnel de Paris a fustigé "une faute pénale d'une exceptionnelle gravité, destructrice du lien social et de la confiance des citoyens dans les institutions de l'Etat".
Pour cette fraude qui "s'enracine dans une organisation systémique" et "familiale", l'ancien ministre a été condamné, outre trois ans de prison ferme, à une peine de cinq ans d'inéligibilité. Sans amende, les époux Cahuzac s'étant acquittés d'un redressement majoré d'environ 2,5 millions d'euros.
Lundi devant la cour d'appel de Paris, Jérôme Cahuzac, 65 ans, retraité de la vie politique, sera seul face à ses juges, avec l'ex-avocat genevois Philippe Houman, "cheville ouvrière indispensable" du montage financier ayant permis de transférer en toute discrétion de Suisse à Singapour les avoirs (600.000 euros) de l'ancien député. L'homme d'affaires suisse avait été condamné à un an de prison avec sursis et à l'amende maximale de 375.000 euros.
Les autres protagonistes de l'affaire ont renoncé à faire appel: l'ex-épouse de Jérôme Cahuzac, Patricia Ménard, condamnée à deux ans de prison ferme pour "vingt ans d'ancrage dans la fraude"; la banque genevoise Reyl & Cie, "instrument de la dissimulation des avoirs" qui s'est vu infliger l'amende maximale de 1,875 million euros, et son patron François Reyl, condamné à un an avec sursis et 375.000 euros d'amende pour avoir "mis à disposition tout le savoir-faire" de sa banque.
3,5 millions dissimulés
Cette affaire est avant tout l'histoire de la chute d'un homme qui avait, de son propre aveu, "une part d'ombre". Un chirurgien de talent saisi du virus de la politique, un ministre brillant, selon des collaborateurs et élus de tous bords. Mais aussi, comme l'a crûment mis en lumière le premier procès, un fraudeur au nom de code "Birdie" qui se fait remettre dans la rue des liasses de billets provenant de ses comptes cachés.
Quand, en décembre 2012, le site d'informations Mediapart révèle que le ministre du Budget a un compte en Suisse, Jérôme Cahuzac commence par nier, les "yeux dans les yeux" des députés, de ses proches, du président. Il finira par démissionner le 19 mars 2013, puis avoue le 2 avril.
Le procès a mis à nu les secrets bancaires d'un couple dans la tourmente. Dans les années 1990, il fallait placer l'argent qui coulait à flot de la florissante clinique d'implants capillaires gérée par les époux. Ce sera plutôt la Suisse pour lui, l'île de Man pour elle.
Leur patrimoine global dissimulé est estimé à 3,5 millions d'euros. L'argent s'est retrouvé à hauteur de 600.000 euros sur le compte suisse de Jérôme Cahuzac, transféré en 2009 de Genève à Singapour, à hauteur de 2,7 millions d'euros sur le compte de l'île de Man géré par Patricia Cahuzac, et pour près de 240.000 euros de chèques versés sur les comptes de la mère de l'ex-chirurgien.
En 2016, Jérôme Cahuzac avait avancé l'explication surprise d'un financement politique, affirmant que le premier compte en Suisse ouvert à l'Union des banques suisses (UBS) en 1992 était destiné à financer le courant de l'ancienne figure du Parti socialiste Michel Rocard. Une hypothèse sèchement écartée par le tribunal.
Quelle sera cette fois la stratégie du boxeur amateur? Seule certitude, il a choisi de se battre et pris pour avocat la star du barreau Eric Dupond-Moretti, dit "Aquittator".
Le procès est prévu jusqu'au 21 février.
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