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Coincés en Afghanistan, des nomades kirghizes rêvent de rentrer au pays

Lorsqu'ils menaient paître leurs bêtes dans les montagnes du Pamir, les nomades kirghizes d'antan n'auraient jamais pensé se retrouver un jour coincés dans un corridor, luttant pour leur survie dans un enfer glacé en Afghanistan.

Coincés en Afghanistan, des nomades kirghizes rêvent de rentrer au pays
Des familles kirghizes se déplacent à dos de yaks, le 7 octobre 2017 dans le corridor de Wakhan, dans l'extrémité nord-est de l'Afghanistan - Gohar ABBAS [AFP]

Pendant des siècles, ces groupes d'éleveurs itinérants ont arpenté librement l'Asie centrale et du Sud, menant leurs troupeaux entre rivières cristallines et monts enneigés. Puis la géopolitique s'en est mêlée: des frontières ont été tracées au XIXe siècle, que la rivalité Est-Ouest a verrouillées lors des grands bouleversements du XXe.

Jadis libres comme l'air, ces nomades et leurs descendants - au nombre d'un millier aujourd'hui - se sont retrouvés pris au piège dans le "corridor de Wakhan", un territoire de 350 km de long au climat hostile formant l'extrémité nord-est de l'Afghanistan, pris en sandwich entre Tadjikistan, Chine et Pakistan.

L'endroit peut difficilement être plus inhospitalier: 10.000 km2 de pics et de vallées encaissées, à 4.000 mètres d'altitude, où les cultures sont impossibles, les températures étant trop froides 300 jours par an, souvent négatives.

"Nous sommes des Afghans accidentels", explique Jo Boi, un chef du cru, malingre sous ses vêtements chauds, qui dit ignorer son âge. "Nous n'avons pas choisi cette terre, mais nous n'avons nulle part ailleurs où aller."

Quelque 1.100 Kirghizes, selon le gouvernement afghan, survivent ainsi plutôt qu'ils ne vivent d'un côté du Bam-e-Dunya, surnommé "le toit du monde". Des Wakhi, une autre ethnie plus nombreuse, peuplent l'autre côté du massif.

Le bourg le plus proche, Ishkashim, est à trois jours de cheval ou de yak. Certains sentiers escarpés sont aussi étroits que vertigineux. Le moindre écart peut y être fatal.

Aucune agence gouvernementale ne s'aventure donc dans le Wakhan. Plus aucune ONG n'y est présente. Les Kirghizes n'ont qu'une école et aucun centre de santé. Le moindre rhume, s'il dégénère, représente un risque majeur.

"Il est normal pour les mères ici de perdre trois, quatre ou cinq enfants", remarque Tilo, un berger qui n'a qu'un nom. Et cet homme fort au visage buriné d'ajouter : "Ici, la mort est plus fréquente que la naissance."

'Précipice'

Une femme sur trois y décède de complications post-natales et une majorité d'enfants n'atteignent pas l'âge de 5 ans, affirme Jeff Walkes, directeur de Crosslink Development International, une ONG basée à Bichkek au Kirghizstan qui tente d'aider les naufragés de Wakhan.

"Alors que le monde avance en terme d'éducation et de soins, les Kirghizes du Wakhan sont oubliés", estime-t-il. "Ils vivent au-dessus d'un précipice."

Le corridor de Wakhan, à la confluence de trois massifs de très haute montagne à la pointe occidentale de l'Himalaya, l'Hindu Kush, le Karakoram et le Pamir, est l'un des aboutissements du "Grand jeu", qui vit les empires russe et britannique rivaliser d'influence au XIXe siècle en Asie centrale à coups de conflits locaux, de manoeuvres diplomatiques et d'espionnage.

Ce bras de terre très étroit - 60 km de largeur au maximum - devait servir de zone tampon séparant les deux grandes puissances.

Pendant des siècles, les Kirghizes ne venaient dans le Wakhan que durant l'été, explique Kate Clark, du Réseau des analystes afghans (AAN). Ils passaient leurs hivers au Kirghizstan, au Tadjikistan ou encore dans le Xinjiang chinois, où les températures sont moins rudes.

"Après les révolutions communistes de 1917 (Russie) et 1949 (Chine), beaucoup se sont enfuis au Wakhan, préférant le froid engourdissant à la collectivisation forcée", raconte-t-elle. Puis ils se sont rendu compte de leur erreur et n'ont cessé de tenter de la réparer.

En 1978, après un coup d'Etat communiste à Kaboul, les Kirghizes, emmenés par leur chef Haji Rehman Qul, franchirent le col d'Irshad, à plus de 5.400 mètres d'altitude, pour se rendre au Pakistan, au Sud du corridor. Mais des centaines d'entre eux y périrent après avoir bu de l'eau contaminée. Désespérés, les survivants retournèrent à Wakhan.

'Mourir jeune'

Après cet épisode tragique, Haji Rehman Qul supplia le gouvernement américain d'accueillir les siens en Alaska, un territoire choisi pour son climat propice aux yaks. En vain.

La Turquie accorda par la suite l'asile à un petit groupe de Kirghizes.

Mais la majorité d'entre eux restent bloqués dans le corridor de Wakhan.

Au Kirghizstan, où le sort des Kirghizes de Wakhan n'est pas perçu comme une urgence, différents décrets et initiatives ont été pris au fil des ans pour aider au retour de quelque 22.000 Kirghizes actuellement à l'étranger, dont ceux d'Afghanistan.

Mais rares sont ceux de Wakhan qui en ont bénéficié.

"Le gouvernement kirghiz a enfin commencé le rapatriement. Certaines familles sont parties cette année", se réjouit Jo Boi.

L'ambassade du Kirghizstan à Kaboul dément toutefois l'existence d'une telle politique, soulignant que les "personnes d'ethnie kirghize (de Wakhan) sont des citoyens afghans" et que le gouvernement kirghiz se cantonne à leur envoyer chaque année une aide humanitaire.

Les quelques personnes qui ont pu partir au Kirghizstan l'ont fait pour des raisons éducatives, affirme à l'AFP son chargé d'affaire Uchkun Eraliev.

Les bergers du corridor restent donc en transit, malgré eux.

"Qui aimerait vivre ici ?", s'interroge Tilo, qui rêve aussi du Kirghizstan.

Dans un sourire amer, il ajoute: "Nous n'avons pas d'autre choix. Ici, nous ne vivons jamais vieux, nous mourons jeunes."

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