Les cheveux ont blanchi mais l'enthousiasme rayonne dans la bande des Français: "c'est comme si on s'était quitté la veille, malgré les difficultés de la vie", résume le roi Killy, triple médaillé d'or en descente, géant et slalom. "C'est toujours une émotion parce qu'on est copains", renchérit Marielle Goitschel, médaillée d'or en slalom.
Les membres de cette équipe de France hors du commun menée par Honoré Bonnet se transposent un demi-siècle plus tôt, jour pour jour. Le 6 février, dans un stade éphémère comble de ses 65.000 spectateurs, le général de Gaulle prononçait son plus court discours: "Je proclame l'ouverture des 10e Jeux olympiques d'hiver de Grenoble".
Alain Calmat, patineur artistique et surtout le dernier relayeur de la flamme, revit ces 400 derniers mètres, cette rampe aux interminables petites marches, les "7 secondes" qu'il a "volées" pour lui seul face à la foule, au soleil couchant "magnifique" avant d'embraser la vasque et de faire "exploser le stade".
Le temps aussi de régler son compte à ce battement de cœur diffusé lors de son ascension: "Ca ne pouvait pas être le mien, c'était trop régulier, moi j'étais à 180-200 ! On avait fait des essais (pour un direct) mais les organisateurs préféraient un disque parce que si ça s'arrêtait ou que ça battait trop vite, les gens allaient s'effrayer", explique à l'AFP le futur médecin.
Reste la pulsation magnifiée dans "13 jours en France", le film des Jeux confié à Claude Lelouch. Parce qu'en France, "nation de cœur, ça gueule et c'est pas d'accord mais il y a toujours le cœur au bout", estime Marielle Goitschel, à la gouaille intacte.
Si les Français avaient brillé lors de ces Jeux à domicile, un Italien avait aussi "fissuré le mur" de l'invincibilité russo-scandinave sur le ski de fond, se rappelle Franco Nones. L'ancien douanier avait été le premier non scandinave à remporter une médaille d'or (sur le 30 km), propulsant cette "discipline secondaire" sur le premier plan médiatique.
'Projetée dans l'ère moderne'
Car les médias étaient présents en nombre à Grenoble, qui sont les premiers Jeux retransmis à la télévision en couleurs. L'ORTF assurera 52 heures de direct, la chaîne américaine ABC achètera les droits pour les Etats-Unis, une partie de l'Amérique du Sud et l'Australie, NHK pour le Japon. Au total, grâce à deux satellites, 500 millions de téléspectateurs peuvent suivre les retransmissions à travers le monde.
Parmi les premières de ces Jeux, restent aussi les premiers tests antidopage et de féminité, la première identité visuelle globale, la première utilisation d'une mascotte (Dof, le dauphin officiel sera supplanté par Schuss).
Et si le monde avait découvert Grenoble à cette occasion, la préparation des Jeux a été pour cette ville l'occasion d'une mutation spectaculaire.
"La ville connaissait un boom démographique mais vivait avec des infrastructures de l'entre-deux-guerres. Elle a comblé son retard et fait un bond de 20 ou 30 ans", affirme Olivier Cogne, directeur du Musée Dauphinois où se tient une exposition sur les Jeux.
Un aéroport à 45 km de la ville, une gare en centre-ville, une mairie, un hôtel de police, un hôpital, l'ébauche du périphérique, une maison de la culture inaugurée par André Malraux, un symposium d'art dans la ville: "Grenoble s'est projetée dans l'ère moderne" des Trente Glorieuses, dit avec le recul Jean-Claude Killy qui fut, dans ses autres vies post-ski, notamment président de la commission de coordination au Comité international olympique (CIO).
Ces Jeux, restés parfois éloignés d'une population locale ouvrière et peu portée sur les sports d'hiver, "ont souffert de la rumeur qu'ils avaient coûté trop cher", regrette d'ailleurs Killy. En budget global, insiste M. Cogne, "ces Jeux ont coûté 1,1 milliard de francs de l'époque soit 1,5 milliard d'euros actuels, dont 75% pris en charge par l'Etat. Quand ont voit les baisses de dotation actuelles..."
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