"Dès qu'on s'installe, un an tout au plus, les frappes arrivent et on change d'endroit", explique le septuagénaire, qui a élu domicile dans un campement informel regroupant des dizaines de tentes près de la localité de Sarmada.
Plus d'un million de Syriens chassés de leur région natale ont trouvé refuge à Idleb, un des derniers bastions rebelles dans le nord-ouest de la Syrie, ravagée depuis 2011 par une guerre meurtrière.
Fuyant les combats entre le régime de Bachar al-Assad et les rebelles, ou évacués des localités reconquises par les troupes de Damas, ces déplacés espéraient trouver à Idleb un semblant de normalité.
Mais même ici, les bombardements les poursuivent.
"J'ai perdu ma maison et mes terres. Je suis parti de chez moi avec les vêtements que j'ai sur le dos", lâche le vieil homme, originaire de la province voisine de Hama, son visage ridé encadré par un keffieh blanc qui le protège du froid.
Autour de lui, des tentes de fortune, faites de bâches en plastique, de couvertures et de draps, se dressent péniblement au milieu des champs.
La sienne a été détruite par des pluies torrentielles et il s'est installé chez des voisins.
Une fillette lave une casserole dans une grande flaque d'eau ocre. Leurs chaussures couvertes de boue, des hommes glissent, plus qu'ils ne marchent, sur le sol fangeux.
'Jour de larmes'
Contrôlée par Hayat Tahrir al-Cham, groupe jihadiste dominé par l'ex-branche d'Al-Qaïda, Idleb compte 2,5 millions d'habitants, dont près de la moitié sont des déplacés.
C'est dans cette province que le régime envoie rebelles et civils lorsqu'ils sont évacués des bastions de l'opposition, repris par le pouvoir au terme de sièges asphyxiants.
Et Abou Mohamed se souvient encore de ce jour d'août 2016 où il a dû quitter la localité de Daraya, près de Damas.
"C'était un jour de larmes et de sang. Tu es dans le bus, tu vois ta ville dans ton dos", raconte l'homme à l'épaisse barbe blanche, un foulard noué sur le crâne.
Avec sa femme, ses cinq filles et son fils, il était installé depuis plus d'un an à Idleb, dans la localité de Jerjenaz.
Et même si Idleb est une des quatre zones de désescalade instaurées en Syrie pour obtenir une trêve dans les combats, le régime a lancé le 25 décembre une nouvelle offensive pour reconquérir le sud-est de la région.
"Les frappes se sont intensifiées, les gens faisaient partir leurs femmes et leurs enfants. Deux roquettes et des barils d'explosifs sont tombés près de notre maison", ajoute Abou Mohamed, 48 ans.
Depuis plus d'un mois, la famille a trouvé refuge près de la ville d'Idleb. Dans son salon, de modestes banquettes sont posées sur des tapis à même le sol.
"Jerjenaz était devenue notre deuxième maison, on connaissait tout le monde. Ici, on ne trouve pas de travail", déplore cet ancien fonctionnaire.
13 mois, cinq maisons
Marwa Taleb et Saleh Abou Qoussaï ont vécu un exode similaire. Ils sont originaires d'Alep, deuxième ville de Syrie. En un peu plus d'un an, ils ont déménagé cinq fois, et leurs maisons successives ont été bombardées.
"Quel sera l'avenir de ma fille? Est-ce qu'elle va être dans l'errance comme nous, ou aura-t-elle une vie meilleure?", s'interroge la jeune femme de 20 ans, enceinte de huit mois, les larmes aux yeux et la voix étranglée par l'émotion.
"Dès que l'on commence à s'installer et à souffler, il y a de nouvelles frappes, on doit prendre nos affaires et partir", poursuit Mme Taleb, la tête couverte par un voile noir et blanc.
De leur ville natale, il ne reste quasiment plus rien: un bonnet en laine tricoté par Marwa, quelques livres et une estampe japonaise, accrochée au mur du salon.
"Je l'ai récupérée parmi les décombres d'une maison détruite à Alep", raconte M. Abou Qoussaï, sweat à capuche et barbe noire broussailleuse.
Le couple s'est marié quelques semaines seulement avant d'abandonner Alep, en décembre 2016, avec la reconquête par le régime des quartiers rebelles.
"On avait fait un dernier tour au milieu des ruines, et pris quelques photos", ajoute la jeune femme.
A l'époque, un de ces clichés a fait le tour du monde. On y voit le couple, de dos au milieu des décombres, contemplant un graffiti qu'ils viennent d'inscrire sur un mur: "Nous reviendrons, mon amour."
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