"Y'a trop d'étrangers dans le monde!": c'est le mantra en forme de boutade de cet hyperactif de 69 ans, qui se décrit volontiers comme un "rejeton du babyboom et de la baba-coolitude". Comprenez "utopiste, révolutionnaire et rock and roll" mais avec le goût du business.
A la tête de trois restaurants à Grenoble dont celui du musée, d'un autre établissement sur le versant rupin du Grésivaudan, et récent repreneur du restaurant du TNP (théâtre national populaire) de Villeurbanne, Pierre Pavy ne boude pas sa réussite.
"Ce ne sont pas des restos solidaires, je fais quatre millions d'euros de chiffre d'affaires par an, voilà! Ma directrice gère entre 50 et 70 fiches de paie par mois", déclare sans ambages ce patron, revenu de l'import-export en Chine dans le textile.
Mais de sa jeunesse en vadrouille en Afghanistan, en Inde et en Iran, dans ces années 1970 où "le monde était ouvert", Pierre Pavy a gardé le goût des autres et une image de la misère. "Quand on a eu la chance de pouvoir se promener, il faut rendre un peu de ce qu'on a reçu."
Aujourd'hui, plus de 60% de son personnel en cuisine est d'origine étrangère. "Pas des européens. Des étrangers étrangers. Et certains n'ont pas de papiers mais ils viennent avec des CV et l'envie de travailler", affirme le restaurateur, qui a ouvert son premier établissement à 17 ans à Annecy.
Pour monter les dossiers de régularisation, "il faut des juristes et des avocats, je les ai autour de moi", poursuit ce mari d'une médecin-légiste d'origine vietnamienne. Les employés "se sentent soutenus" et "ils m'apportent une gentillesse et un respect qu'on ne connaît plus dans nos relations professionnelles".
'Pas dans l'assistanat'
"Je ne suis pas dans l'optique du négrier", assure ce grand lecteur de Charlie Hebdo. Il affirme "très bien" les payer, "au-dessus du Smic hôtelier: ici un plongeur , c'est 1.400 euros net par mois pour 39 heures". Et déplore la difficulté à trouver de la main d'œuvre, avec 6 postes non pourvus.
Le chef de "Ici Grenoble" est équatorien et a commencé au nettoyage de salle. "C'était pour vérifier mon français, ça a duré une semaine et maintenant je suis chef depuis 3 ans", raconte Leonardo Lema, qui dit sa "chance d'être tombé sur Monsieur Pavy".
Usman, le commis de cuisine pakistanais, vient d'essuyer un refus de titre de séjour mais ne semble pas très inquiet. "On va bientôt changer les papiers", dit celui qui a laissé en Italie sa femme, malade, avec leur fille.
Comme pour d'autres, M. Pavy s'est porté caution pour son appartement. Et Usman a proposé le dahl chawal, plat de riz et de lentilles aux épices, pour la carte du restaurant. Où il travaille coude à coude avec un réfugié politique tibétain et un émigré économique ivoirien.
Tous viennent travailler bénévolement le jour où un repas de Noël est offert au "5", le restaurant du musée de Grenoble, pour les "malheureux".
Cette tradition depuis 20 ans, et qui a fait des émules dans la ville, est "un moment de partage, pas de charité. Pierre est un homme excessif qui a un grand respect des autres, il n'est pas dans l'assistanat", estime Anna Lavédrine, vice-présidente de l'association Accueil SDF. "Ils sont reçus comme des monsieurs et des madames, traités d'égal à égal".
Dans son local, elle sert aussi tous les vendredis de l'hiver "la soupe de Pierre", concoctée dans les cuisines d'"Ici Grenoble".
Un système de récupération de viande a également été mis en place avec la Banque alimentaire. Ainsi, en 2016, environ 160.000 portions de viande cuisinée ont été données aux associations. Et depuis peu, un "frigo solidaire" a été installé à l'entrée du "5" , en accès libre.
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