La levée de fonds via internet avait mobilisé en novembre et décembre un melting pot de contributeurs de 115 pays devenus copropriétaires d'un château aux murs branlants qui défient les règles de sécurité. Parmi eux: Stéphane Bern, chargé par Emmanuel Macron d'une mission sur le patrimoine.
La copropriété dispose d'un gros million d'euros pour lancer les premiers travaux car la collecte avait rassemblé 1,6 million, plus du triple du prix d'achat fixé à 500.000 euros.
Mais la tâche est gigantesque car le château d'origine médiévale, maintes fois remanié, saccagé sous la Révolution, reconstruit au XIXe siècle, brûlé en 1932, n'est plus que l'ombre de lui-même.
Perdu dans la campagne des Trois-Moutiers (Vienne), l'élégante bâtisse cernée de douves, hérissée de tours mais ouverte aux quatre vents, s'offre aux tout premiers visiteurs, dont l'AFP. "C'est une ruine vivante. Elle joue à cache-cache, entre les bosquets, tantôt dans l'eau tantôt sur terre, selon l'angle de vue", s'amuse Eliane Lamacque, venue en voisine.
Propriétaire depuis 25 ans des communs du château où elle vit, elle détient aussi depuis décembre, "une petite part des ruines".
Les deux initiateurs du projet, Julien Marquis et Romain Delaume s'effacent derrière cette "gardienne du temple", et s'arrêtent dans la chapelle néo-gothique.
"On veut continuer la belle histoire", explique Julien Marquis, médiéviste et président de l'association "Adopte un château", réseau d'aide aux monuments en péril.
"L'intérêt de cette folie romantique reconstruite sur des fondations du XIIIe siècle, c'est aussi son aspect de ruine où la nature a repris ses droits". "C'est ce qui fait son âme, et on n'a pas le droit d'effacer ça avec un projet de restauration délirant. Il faut conserver cet équilibre entre pierre et nature", s'enflamme-t-il.
Après les douves et le passage de la herse remplacée par une lourde porte cloutée néo-médiévale, on avance à ciel ouvert, et à tâtons au milieu des feuillages sur les précieux fragments de dalles médiévales, de linteaux néo-gothiques et de stucs néo-baroques mangés par les lichens. Pour atteindre les étages, pas d'autre choix que la grande échelle.
"Il y a du boulot !"
Le Néerlandais Carsten Hanssen, architecte du patrimoine installé à Loches (Indre-et-Loire), a répondu à l'appel d'offres pour les premières expertises.
Dans "ce lieu hors du temps", qui emprunte à tous les styles, il examine "la loggia vénitienne" donnant sur le canal des douves, puis l'escalier de granit blanc en colimaçon orné de reliefs de licornes, réplique de "celui du château de Blois".
"On admire, mais on s'inquiète, dit l'architecte. La priorité c'est de sécuriser les lieux, fragilisés par le temps, la végétation corrosive et l'incendie. Il y a du boulot!"
En attendant, il sera entièrement scanné et numérisé pour faciliter le travail.
Il faut compter "7 à 10 ans" et "3 à 4 millions d'euros pour une sécurisation totale", mais on peut envisager les premières visites balisées au printemps 2019, estime Romain Delaume, co-fondateur du site Dartagnans, à l'origine de la collecte.
Pour la rallonge budgétaire, il reste optimiste après avoir déjà obtenu "les mécénats de très belles entreprises françaises et internationales". Car ce château non classé ne peut pas compter sur l'Etat.
Et les copropriétaires feront peut-être de la main d'oeuvre à bon marché en s'inscrivant aux chantiers de bénévoles dès cette année.
Au sein de la copropriété, le maître mot c'est "la démocratie participative". Les propositions pour la suite fusent déjà : concerts, expositions, spectacles , hébergements atypiques, visites immersives en 3D...
Mais "pas de tourisme de masse", tranchent MM. Delaume et Marquis, avec d'autant plus de conviction que chacun détient sa quote-part de la "folie" poitevine.
Bientôt ouvrira un site dédié pour le suivi du chantier (via webcam), avec une plateforme pour les idées, et en juin, la première assemblée de copropriétaires sera réunie au château.
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