Auschwitz-Birkenau, c'est un million de Juifs assassinés sur les 6 millions qui ont été victimes de la Shoah. C'est aussi dans ce camp qu'ont été déportés la très grande majorité des Juifs de France : 69 000 sur 76 000. Seul 3% d'entre eux sont revenus. Mercredi 24 janvier 2017, 150 jeunes lycéens et apprentis de Normandie sont partis sur les traces de ces Juifs déportés, en Pologne, pour visiter le gigantesque camp de la mort. Ces chiffres, ils les connaissent pour les avoir étudiés en cours. Ce voyage d'étude est une histoire de ressenti, un temps pour essayer de réaliser, une pédagogie par l'émotion que dégagent ces lieux, où la mort a été rationalisée au maximum.
C'est ici qu'arrivaient les déportés pour être "triés", après parfois plusieurs jours de voyage dans ces wagons à bestiaux. - Pierre Durand-Gratian
Pour réaliser, les jeunes lycéens pouvaient compter sur leur guide, Pascale Morel, dès leur arrivée à l'entrée de Birkenau, où se trouve encore un wagon à bestiaux dans lequel voyageaient les déportés. "Imaginez-vous que quand les déportés sortaient de ce wagon, ils étaient soulagés après plusieurs jours de voyage, enfermés. Mais ceux qui étaient destinés à mourir auront passé moins de temps ici que vous d'ici la pause déjeuner", explique-t-elle.
Dans un silence pesant, dans le froid, les lycéens, par petits groupes, avancent entre les baraquements du camp, tantôt en dur, tantôt en bois, bordés de fils barbelés. "Ceux voués à l'extermination, comme les Juifs, ne passaient que quelques heures ici, explique leur guide. Les autres étaient placés dans la zone concentrationnaire, ce qui n'est qu'un camp de mort lente." Au fond, à l'opposé de l'entrée du camp, une forêt. Et puis, les chambres à gaz, les fours crématoires et même à l'époque, les fosses communes dans lesquelles les corps étaient brûlés lorsqu'il a fallu accélérer le mouvement de la solution finale.
Face à l'horreur, les lycéens tentent de réaliser, chacun à leur manière. Pour Manon Plantefol, 17 ans, en terminale L au lycée Corneille de Rouen (Seine-Maritime), ce voyage avait un sens tout particulier, puisqu'elle-même a perdu une grande partie de sa famille juive au camp d'Auschwitz. Devant ses camarades, elle a déposé des petits cailloux, que lui a confiés sa grand-mère, sur des stèles dans le camp, comme le veut la tradition.
Écoutez Manon Plantefol :
Manon
Une émotion, une sidération qui a touché d'autres élèves, comme Julien Anger, 17 ans, en terminale ES au lycée Marie Joseph de Trouville-sur-Mer (Calvados). "Quand on passe la porte du camp, quand on vit ce moment, ça a une intensité particulière, une résonance qui peut toucher n'importe qui", témoigne-t-il. Écoutez-le :
Julien
Pour les professeurs qui encadrent ce voyage, la visite est un support pédagogique précieux, "presque indispensable", selon Nicolas Demonfort, professeur d'histoire-géographie au lycée Corneille de Rouen.
Nicolas Demonfort
Les 150 lycéens normands se sont rassemblés à la mi-journée pour une courte cérémonie en hommage aux victimes de la Shoah. - Pierre Durand-Gratian
"La mort d'un homme est une tragédie, la mort d'un million d'hommes est une statistique" (Joseph Staline)
La journée de visite, dense, se poursuit. Les 150 élèves quittent le camp de Birkenau, déjeunent sur le pouce et rejoignent Auschwitz 1, un secteur concentrationnaire. Les anciens baraquements du camp sont réaménagés en musée. Au mur, des photos de jeunes enfants ou femmes squelettiques. Dans les vitrines, des milliers de paires de chaussures qui correspondent à "quatre ou cinq jours d'assassinat dans le camp", précise Pascale Morel. Et même, des cheveux amassés dans lesquels on peut encore distinguer des tresses de jeunes femmes qui étaient rasées à leur arrivée. Glaçant.
Des milliers de paires de chaussures de déportés juifs permettent de prendre conscience de "l'industrialisation" de la mort dans le camp. - Pierre Durand-Gratian
"Vous avez vu l'organisation du camp. Ici, prenez le temps de réaliser ce qu'a été le quotidien de ces hommes et de ces femmes, explique la guide. Cette partie est faite pour humaniser, incarner ces chiffres que vous avez vus en cours", poursuit-elle en citant Joseph Staline : "La mort d'un homme est une tragédie, la mort d'un million d'hommes est une statistique".
Les lycéens pénètrent dans l'étroite prison du camp d'Auschwitz 1. - Pierre Durand-Gratian
La journée se termine. Retour au bus, à l'aéroport, puis la Normandie. Énormément d'émotion à intégrer, d'informations à digérer, à reprendre avec les professeurs pour tirer les enseignements d'un tel voyage, en termes de connaissances, mais aussi de devoir de mémoire.
Christian Savary, professeur d'histoire-géographie au lycée Lebrun de Coutances, fait ce voyage pour la 15e fois. Et il est clair qu'il y a un après, selon lui. "Ils vont s'approprier cette histoire et cette mémoire, car ce sont eux qui en sont les porteurs pour demain. Et on peut leur faire confiance". Écoutez-le.
Christian Savary
À propos du voyage
Le voyage d'étude est organisé par la Région Normandie avec le Mémorial de la Shoah, depuis 2010. Des classes sont sélectionnées sur la base d'un projet pédagogique. 6 classes de lycées et de CFA étaient lauréates pour 2018 :
• Le CAP Jardiniers Paysagistes et Bac Pro Paysagistes du CFA Horticole d'Évreux (Eure)
• La Première Bac Pro chaudronnerie du CFAI d'Évreux (Eure)
• La Première ES du lycée Marie Curie de Vire (Calvados)
• La Terminale ES du lycée Marie Joseph de Trouville (Calvados)
• La Terminale L du lycée Lebrun de Coutances (Manche)
• La Terminale L du lycée Corneille de Rouen (Seine-Maritime)
Tous ont préparé le voyage en amont sur la base d'un projet pédagogique précis. Par exemple, les élèves du lycée Corneille de Rouen travaillent sur un court-métrage qui retracera la vie de Denise Holstein, ancienne élève du lycée Corneille, arrêtée à Rouen et rescapée du camp d'Auschwitz. Elle est aujourd'hui âgée de 90 ans. Le résultat des travaux des lycéens sera présenté au Mémorial de Caen au mois de mai 2018.
Après un contretemps technique, le voyage d'étude à Auschwitz avait dû être reporté d'une semaine. - Pierre Durand-Gratian
A LIRE AUSSI.
Visite à Auschwitz reportée pour les 150 jeunes Normands
Auschwitz en chantier pour préserver la mémoire de l'Holocauste
Vel d'Hiv: en livrant les enfants, la France complice d'un génocide
De la Shoah aux Yézidis: le père Desbois, prêtre au combat pour la mémoire
Envie d'afficher votre publicité ?
Contactez-nousEnvie d'afficher votre publicité ?
Contactez-nous
L'espace des commentaires est ouvert aux inscrits.
Connectez-vous ou créez un compte pour pouvoir commenter cet article.