Trente-huit milliards de dollars: c'est la somme que la marque à la pomme, réputée pour ses pratiques d'optimisation fiscale, s'est engagée à payer outre-Atlantique, dans le cadre de l'"impôt de rapatriement" mis en place par l'administration Trump.
Ce dispositif, voté peu avant Noël, offre pendant une durée limitée la possibilité aux entreprises américaines de rapatrier les bénéfices réalisés à l'étranger à des taux variant entre 8% et 15,5%, bien en deçà du taux de 35% jusque-là en vigueur.
"Immense victoire" aux yeux de Donald Trump, la décision d'Apple a en revanche suscité des inquiétudes côté européen, notamment chez le ministre français des Finances Bruno Le Maire qui a prévu de discuter du sujet avec le secrétaire au Trésor américain Steven Mnuchin en marge du sommet de Davos (Suisse).
"Cette législation va encourager les investissements des entreprises internationales aux Etats-Unis. C'est pourquoi nous devons nous pencher là-dessus", a déclaré de son côté le ministre allemand des Finances Peter Altmaier.
Des deux côtés de l'Atlantique, les Etats peinent à imposer les multinationales - et notamment les géants du numérique - à la mesure des profits qu'elles réalisent, dans un contexte de compétition fiscale exacerbée par la mondialisation.
Avec sa réforme fiscale, Donald Trump espère voir une nouvelle manne rentrer dans les caisses de l'Etat américain. Selon le Congrès, les filiales de grands groupes américains ont en effet accumulé depuis des années près de 2.500 milliards de dollars à l'étranger.
Nivellement par le bas
"Pour les Etats-Unis, ça peut être une bonne chose. Mais pas pour l'Europe", estime Eric Vernier, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Un avis partagé par l'économiste Thomas Piketty, qui dit redouter une "escalade dans le dumping fiscal".
Les 28 Etats membres européens discutent depuis des années pour trouver une position commune sur la taxation des entreprises, mais leur projet d'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (Accis), lancé en 2011, peine à avancer en raison des divergences entre les pays.
Plusieurs pays ont fait de leur politique fiscale une arme économique, à l'image de l'Irlande, qui n'impose les bénéfices des entreprises qu'à hauteur de 12,5%. Une stratégie mal vécue par les Etats où l'impôt sur les sociétés est plus élevé, comme la France (33%) ou l'Allemagne (29%).
"Tous les pays européens ne sont pas d'accords entre eux sur l'attitude qu'il convient d'adopter. Du coup, ça met l'Europe en position de faiblesse", note Eric Vernier.
Peter Altmaier l'a reconnu la semaine dernière à Paris: "Nous avons quelques propositions de la Commission européenne dans le pipeline qui n'avancent pas suffisamment", a-t-il déclaré, appelant à ce que l'Europe réagisse "d'une façon commune au défi qui est posé".
Pour Manon Aubry, porte-parole d'Oxfam, les grandes entreprises comme Apple sont "en position de force". "Tant qu'il n'y aura pas d'harmonisation fiscale, au moins sur la manière de comptabiliser les impôts, les entreprises pourront jouer de la concurrence entre les Etats de l'UE", explique-t-elle, se disant inquiète de ce "nivellement par le bas".
"L'Europe porte une grande responsabilité là-dedans", assène Thomas Piketty. Jusqu'à l'arrivée de Donald Trump à la tête des Etats-Unis, ces derniers "avaient maintenu un taux d'impôts sur les sociétés élevé", rappelle l'économiste.
"Ce sont des pays européens qui se sont lancés les premiers dans une course-poursuite au moins-disant fiscal", observe-t-il, appelant ces derniers à faire preuve de "plus de volonté politique" et à cesser de se "faire prendre en otage par le Luxembourg et l'Irlande".
Le commissaire européen aux Affaires économiques, Pierre Moscovici, assure pour sa part que "l'Europe avancera de manière résolue". "Notre logique à nous est simple, (...) c'est une question d'équité et de faire en sorte que ces entreprises payent les impôts qu'elles doivent légitiment assumer là où elles créent de la valeur et des profits", a-t-il affirmé.
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