A 57 ans, Chantal Alvergnas fait partie des agriculteurs qui se sont installés sur le plateau du Larzac (Aveyron), après la décision de François Mitterrand, tout nouveau président de la République, d'abandonner le projet d'extension d'un camp militaire. Un projet farouchement combattu pendant une dizaine d'années.
"On nous a proposé cette ferme où il n'y avait ni eau, ni électricité", se remémore Chantal Alvergnas. "Mais on était en 1982 et le Larzac, c'était un schéma nouveau. C'était enthousiasmant", confie-t-elle dans la bâtisse de pierres et au toit de lauze datant du XVIè siècle qu'elle a magnifiquement retapée.
Avec l'enterrement du projet, l'Etat se retrouvait à la tête de quelque 6.300 hectares. "Mais on ne s'était pas battus pour devenir propriétaires", raconte José Bové, un des acteurs historiques dans les années 70 de cette lutte du Larzac.
"On a donc engagé des discussions avec l'Etat sur le devenir des terres et on a proposé que ce patrimoine soit géré directement par les agriculteurs, les habitants et les communes", poursuit le député européen.
Ainsi naît la Société civile des terres du Larzac (SCTL), une société de gestion collective avec laquelle l'Etat signait un bail emphytéotique. Bail qui court jusqu'en 2083 et qui a transféré à la société civile la gestion des terres, exception faite du droit de vendre. Parmi ses prérogatives, celle d'attribuer les terres à de nouveaux exploitants, en location.
'bail de carrière'
C'est dans ce schéma économique que Marion Renoud-Lias et son compagnon Romain Debord ont pu s'installer il y a deux ans sur la ferme des Homs, sur la commune de Nant et se lancer dans la culture de plantes aromatiques, assurant la relève d'un couple parti à la retraite.
Au milieu de ses rangées de romarin, de lavande, de thym ou de sarriettes, dans le froid matinal du Larzac, la jeune trentenaire confie que s'il avait fallu racheter l'exploitation, il aurait fallu débourser "5 à 6 fois" la mise initiale.
"Je pense qu'aucune banque ne nous aurait suivis", dit Marion qui paye 1.500 euros par an à la SCTL.
Chantal Alvergnas, en Gaec avec son fils, paye elle 9.000 euros par an pour deux corps de ferme et quelque 530 ha de bois, de champs et de parcours pour ses 300 brebis laitières.
Cette exploitation, il lui faudra la quitter quand son "bail de carrière" arrivera à son terme et sonnera l'heure de la retraite. "Ce sera une petite mort", confie Chantal, qui s'émerveille encore "de la beauté du site", dans son hameau de trois maisons, Saint-Martin-du-Larzac.
"Mais c'est un outil de travail", analyse-t-elle. "Un retour à la propriété privée serait le pire de ce qui pourrait arriver", dit l'éleveuse, intarissable sur cette aventure qui, selon elle, a permis à un territoire de continuer à vivre, à des jeunes de s'installer, à de nouvelles activités de se développer.
"Et où nos enfants veulent rester, alors que c'est une des terres les plus pauvres de France", rajoute-t-elle.
Opposée au transfert de l'aéroport de Nantes à Notre-Dame-des-Landes, où elle s'est rendue, Chantal Alvergnas est convaincue, comme José Bové, que le modèle inventé sur le Larzac est transférable dans le bocage nantais.
Du moins pour tout le processus juridique et la création éventuelle d'une société civile pour la gestion des terres restant à l'Etat ou au Conseil départemental de Loire-Atlantique.
Cependant, "il n'y aura pas de copié-collé avec ce qui s'est fait ici", assure l'éleveuse, par ailleurs une des onze gérants de la SCTL. "A chaque territoire de construire quelque chose à sa manière", renchérit José Bové.
Mais "ce pari sur l'avenir" doit se faire dans "le temps, dans la sérénité, et surtout dans la non-violence", assurent les deux Aveyronnais.
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