Si l'annonce d'une grâce présidentielle pour l'ex-chef d'Etat péruvien, condamné pour crimes contre l'humanité, a fait déferler dans la rue des milliers de Péruviens en colère, elle a aussi suscité de vives critiques de l'ONU.
Le représentant régional du Haut commissaire aux droits de l'homme, Amerigo Incalcaterra, a appelé à "éviter toute situation pouvant mener à l'impunité".
Demandant "pardon du fond du coeur", Alberto Fujimori, 79 ans, a reconnu mardi avoir "déçu une partie de (ses) compatriotes".
Un euphémisme par rapport à la sévérité de sa condamnation: 25 ans de réclusion, notamment pour l'assassinat de 25 personnes aux mains d'un escadron de la mort durant son combat contre la guérilla du Sentier lumineux sous sa présidence (1990-2000).
Dans une vidéo publiée sur Facebook, l'ancien homme fort du Pérou, visiblement mal en point, est apparu sur son lit d'hôpital, entouré d'appareils médicaux.
Il y a 17 ans, c'est l'ex-dictateur Augusto Pinochet, général en retraite de 84 ans, qui débarquait en fauteuil roulant à l'aéroport de Santiago du Chili, tout juste libéré pour raisons de santé après avoir passé 503 jours de détention à Londres.
Mais à peine descendu de l'avion, il s'était levé et était reparti à pied accompagné de ses proches. Une provocation, selon ses opposants.
"L'âge est un facteur qui fonctionne comme une circonstance atténuante", souligne Lissell Quiroz-Pérez, docteure en histoire et spécialiste de l'Amérique latine à l'université de Rouen (France).
"Ces hommes sont des vieillards", ajoute-t-elle, et "ils en jouent aussi: Fujimori est toujours présenté alité, Pinochet, c'était pareil, il paraissait toujours très affaibli. Cela crée dans la population un sentiment de compassion".
'Retour en arrière'
Au Guatemala, l'ex-dictateur Efrain Rios Montt, 91 ans, attend de connaître le verdict de son procès ouvert en octobre pour le massacre par l'armée de plus de 1.770 Indiens, accusés de soutenir les guérillas de gauche, sous son régime (1982-1983).
Mais il n'ira pas en prison en raison de ses troubles mentaux. "Il a très peu de moments de lucidité", assurait en octobre son ancien avocat, Jaime Hernandez.
"D'un certain point de vue, c'est lamentable que ceux qui ont violé les droits de l'homme (...) soient protégés par ces mêmes droits, mais ainsi est faite la démocratie", observe Patricio Navia, conseiller académique du Centre pour l'ouverture et le développement de l'Amérique latine (Cadal), qui rejette toutefois le terme d'impunité pour Alberto Fujimori, qui a purgé 12 ans de prison.
Pour ce politologue chilien, "le cas Fujimori est un retour en arrière, mais un retour en arrière qui survient dans un contexte de plus grande justice contre ceux qui violent les droits de l'homme en Amérique latine".
Selon lui, "il y a beaucoup moins d'impunité qu'avant". "Il y a 30 ans, aucun ex-président d'Amérique latine n'allait en prison", et désormais plusieurs ex-dirigeants, au Guatemala (Otto Pérez Molina) et au Pérou (Ollanta Humala) notamment, sont derrière les barreaux pour des affaires de corruption.
Gaspard Estrada, directeur de l'Opalc, l'observatoire sur l'Amérique latine de Sciences Po Paris, se veut plus nuancé.
"Certes, Fujimori a été condamné, il a purgé une partie de sa peine, mais si on souhaite que l'impunité diminue et que l'Etat de droit progresse, créer des exceptions peut ouvrir la porte à d'autres exceptions".
En toile de fond, il y a "des sociétés divisées sur leur passé, mais en même temps cela arrive dans toutes les sociétés, on pense par exemple au rapport de la France avec la guerre d'Algérie", explique-t-il.
"Il y a des franges minoritaires qui expriment leur sympathie vis-à-vis de ces tortionnaires, d'autres majoritaires qui les rejettent".
Malgré les 3.200 morts ou disparitions attribuées à son régime (1973-1990), 12% des Chiliens considèrent Augusto Pinochet comme "l'un des meilleurs présidents que le pays ait connu", selon un récent sondage.
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