Dans son petit loft de la banlieue parisienne, entre bouquins, tasses de café vides et jouets d'enfant, Emma profite de sa "nouvelle vie" devant sa palette graphique.
Cette trentenaire originaire de Troyes, à quelque 150 km au sud-est de Paris, et installée dans la capitale française depuis douze ans, vient de quitter son emploi d'ingénieure informaticienne pour se consacrer à temps plein à la BD et l'écriture.
"Je suis hyper privilégiée", déclare à l'AFP cette femme affable.
En mai dernier, Emma a publié sur les réseaux sociaux une BD consacrée à la charge mentale, poids invisible lié à l'organisation du quotidien. Un succès fulgurant: 210.000 partages, des milliers de commentaires saluant son propos, et des traductions en anglais, allemand, italien ou japonais.
"Je n'avais pas du tout anticipé ça", explique-t-elle, peu après la parution de son deuxième album "Un autre regard 2" (Massot éditions). "Souvent mes dessins sur la maternité, les tâches ménagères marchaient mieux, mais cela restait (cantonné à) un cercle de personnes plutôt politisées et sensibles à ces questions."
C'est dans un article qu'elle découvre le concept de charge mentale il y a six ans: "C'était fou, enfin des mots matérialisaient quelque chose que je vivais mais que mon compagnon ne comprenait pas". A l'époque, la jeune maman poste l'article sur internet mais ça ne prend pas.
Il faudra donc "faire un dessin" pour que s'impose dans l'actualité le sujet de l'inégale répartition des tâches domestiques. "Un thème universel", souligne Emma, pas mécontente d'avoir suscité quelques discussions dans les foyers. "J'ai même reçu des messages de femmes indiennes qui me parlaient des chaussettes de leur mec à côté du panier à linge !"
Dédicaces en Belgique, 'causeries' à Montréal
Depuis son succès, la dessinatrice a fait des dédicaces en Belgique et elle se rendra à Montréal en janvier pour des "causeries" avec son public.
"Comme pour le mouvement #MeToo, qui a traversé les frontières, tout le monde se reconnaît dans la charge mentale", se réjouit-elle. "Plus mon travail va loin et plus mon lectorat est divers, plus je suis heureuse."
Ses deux recueils de BD, Un autre regard tomes 1 et 2, seront bientôt édités en Corée, aux Etats-Unis, au Québec, en Italie et en Espagne.
Diplômée d'une école d'ingénieur, évoluant dans un milieu professionnel "profondément masculin", celle qui se dit "féministe du quotidien" a commencé à poster ses dessins sur un blog en 2016 alors que la contestation d'un projet de loi sur le Travail faisait rage en France.
Inspirée par l'actualité et les anecdotes de proches, elle y attaque la double journée des femmes, le patriarcat, la méconnaissance du clitoris, et plus généralement aussi la classe politique, la précarité de certains emplois, les discriminations de race...
"Ce que j'aime c'est faire réfléchir sur notre société, dénoncer les injustices et bousculer", explique Emma, qui s'affiche en "révolutionnaire" très à gauche et plutôt proche des mouvements anarchistes.
"Mais je sais que ces messages sont appréciés tant qu'ils sont sur un support un peu mignon et ludique", souligne-t-elle.
- Dessins 'moches' -
Le dessin n'est pour elle qu'"un vecteur". "Je ne me considère pas comme une dessinatrice", poursuit Emma, qui n'a jamais pris de cours.
Attaquée par certains pour la faible qualité des illustrations, elle assume: "Je le sais que mes dessins sont moches. On n'achète pas mes livres parce qu'ils sont beaux mais parce qu'ils sont parlants."
En cette année "riche pour la cause des femmes", Emma a été régulièrement sollicitée pour des interventions et a fait la Une du quotidien Le Monde.
Mais ne lui dites pas qu'elle est une des féministes de 2017, ça la met "mal à l'aise". "En montrant des personnalités féministes, on individualise le problème", estime-t-elle, vantant le collectif: "Il y a une oppression qui nous relie toutes. Si on tape dessus ensemble, au lieu de galérer chacune dans notre coin, on sera libérées".
Courtisée par des institutions, des politiques et même une entreprise de ménage qui voulait lui faire dire que "les femmes de ménage allègent la charge mentale", elle décline toutes les propositions, refusant de "servir de façade".
Maintenant qu'elle n'est plus occupée par les logiciels, elle aimerait écrire des livres jeunesse. Pas pour raconter des histoires de princesses, plutôt celles de "personnages atypiques et d'héroïnes pas forcément blanches, minces ou hétérosexuelles, pour que les enfants qui ne sont pas dans la norme puissent s'identifier".
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