Le kimchi est né de la nécessité de préserver le légume pour l'hiver. Il est plus ou moins épicé. En Corée du Nord, où 40% des habitants souffrent de malnutrition chronique, selon l'ONU, il donne de la saveur au riz, la denrée de base. Dans le Sud, il accompagne tous les types de cuisine.
Les deux Corées proclament leur attachement à une réunification après 70 ans de séparation totale, sans communications postales ou téléphoniques. Mais les deux pays sont bien plus contrastés que ne l'étaient l'Allemagne de l'Est et de l'Ouest au moment de la chute du mur de Berlin.
Même leur kimchi a changé. Et leurs versions respectives ont été inscrites séparément au patrimoine immatériel de l'Humanité - Séoul a réussi à être distingué par l'Unesco avec deux ans d'avance sur Pyongyang.
En Corée du Sud, les défenseurs du kimchi lui prêtent toutes sortes de bienfaits pour la santé, y compris les plus farfelus. Les autorités organisent des festivals géants de confection du kimchi.
Mais son rôle principal est de symboliser l'identité nationale, explique Park Chae-Rin, chercheuse à l'Institut mondial du kimchi (Wikim) à Séoul, financé par le gouvernement sud-coréen. Le kimchi a une dimension sentimentale qui rassemble tous les Coréens, dit-elle. Le Wikim emploie d'ailleurs une centaine de personnes à la promotion du secteur.
La frontière du goût
Dans son appartement du centre de Pyongyang, Song Song Hui propose une défense toute patriotique de la supériorité du kimchi nord-coréen. "Je n'ai jamais goûté au kimchi du Sud mais je pense que le kimchi de Pyongyang est bien meilleur", dit-elle.
Des variantes régionales ont toujours existé. Le kimchi du Sud a un goût plus prononcé et est plus salé, car le climat plus chaud le rend difficile à conserver, explique Park Chae-Rin. Les avancées technologiques du Sud, où de nombreux foyers ont des réfrigérateurs dédiés au kimchi, ainsi qu'un meilleur accès aux épices et aux condiments ont encore accru l'écart gustatif entre les deux spécialités.
Le kimchi nord-coréen, lui, "est similaire à celui qu'on mangeait avant l'ère moderne, quand il n'y avait pas de frigo et qu'on manquait d'ingrédients", dit Mme Park. "En Corée du Sud, ce type de kimchi a complètement disparu."
Néanmoins, le kimjang - l'art de préparer le kimchi - demeure une tradition familiale des deux côtés de la frontière quand les températures dégringolent.
Dans l'appartement de Mme Song, sa cousine Yu Yang Hui, cheffe cuisinière de profession, mélange des tranches de radis, de l'ail, des morceaux de lieu et une pâte de piments rouge. Puis elle étale la concoction sur des choux préalablement trempés pendant 24 heures dans de l'eau salée pour les attendrir.
Les choux sont mis à fermenter dans des seaux en plastique sur le balcon - dans la tradition rurale, les récipients sont enterrés. Ils seront consommables dans une semaine et à leur optimum dans un mois.
"Les Coréens peuvent manger uniquement du riz avec du kimchi", explique la cheffe Mme Yu, selon qui une famille de quatre personnes peut en avaler un kilogramme par jour.
Le kimchi maternel
L'AFP avait demandé à interviewer une famille nord-coréenne à propos du kimjang, ce qui explique cette visite dans l'appartement de Mme Song. Celui-ci donne sur des statues géantes du fondateur de la Corée du Nord Kim Il-Sung et de son fils et successeur Kim Jong-Il.
Nul doute que la famille Song appartient à l'élite nord-coréenne. Le père de Mme Song a fondé l'Usine de lunettes de Pyongyang avant de la remettre à l'Etat. L'établissement a fabriqué la torche en verre rouge qui surplombe la Tour du Juche à Pyongyang. Le piano de Mme Song lui a été offert par Kim Jong-Il. Une photographie officielle de groupe montre Mme Song directement derrière le dirigeant actuel Kim Jong-Un, troisième du nom de la dynastie au pouvoir.
Le chou fermenté n'est pas le seul motif de divergence culinaire sur la péninsule: voici quelques années, le journal The Economist avait provoqué des remous au Sud en assurant que sa bière était inférieure à celle produite par la brasserie Taedonggang à Pyongyang...
Plus sérieusement, la langue commune a évolué différemment au fil de décennies de division, au point que les Nord-Coréens qui font défection au Sud doivent prendre des leçons de sud-coréen lors de leur processus d'intégration.
S'agissant du kimchi, Mme Park juge les préférences liées aux souvenirs plus qu'au goût: "Les gens préfèrent le kimchi qui ressemble le plus à celui que faisait leur mère."
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