Au lac d'Aydat (Puy-de-Dôme), une équipe de l'Agence française de la biodiversité (AFB) mène une pêche scientifique pour recenser la population piscicole. Dans ces eaux volcaniques, des nasses piègent une centaine d'écrevisses signal ("Pacifastacus leniusculus").
Originaire de Californie, cette espèce robuste et vorace, oscillant du rouge au brun et reconnaissable par une tâche blanche au niveau des pinces, a été introduite en France dans les années 1970 à des fins commerciales.
Échappé d'élevages, le crustacé migre aujourd'hui de "manière exponentielle" dans les eaux douces du pays, déséquilibrant au passage l'écosystème.
Il "rentre en compétition directe avec les espèces endémiques en s'attaquant aux œufs d'amphibiens, aux jeunes poissons; creuse des galeries et dégrade les berges. Il est aussi porteur sain de la +peste des écrevisses+ qui peut décimer les populations" autochtones, relève William Sremski, ingénieur à l'AFB.
Piégeage, assèchement du milieu ou contrôle biologique... Tout y passe mais une fois installé, son éradication est "quasiment mission impossible", souligne l'ingénieur dont l'activité a évolué vers la mise en place de "plans de gestions" de ces nouveaux envahisseurs, troisième cause de perte de la biodiversité dans le monde selon l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
Environnement et santé
Sur les 12.000 espèces exotiques implantées en Europe, 10 à 15% sont considérées comme invasives, selon le ministère de la Transition écologique. En juillet, la Commission européenne a enrichi sa liste d'espèces jugées particulièrement préoccupantes, au nombre de 49.
Jussie à grandes fleurs, balsamine de l'Himalaya, grenouille taureau, écureuil à ventre rouge... ces plantes et animaux peuvent avoir des conséquences désastreuses sur l'environnement, l'agriculture, le tourisme et la santé des populations.
Ainsi en Rhône-Alpes, où 21% de la population est victime d'allergies liés au pollen d'ambroisie, pour un coût sanitaire estimé à 22 millions d'euros en 2016.
Autre vénéneuse, la Berce du Caucase, qui provoque de graves brûlures cutanées. La gestion curative des autres renouées asiatiques est estimée à 2,3 milliards d'euros par an dans l'Union européenne, d'après l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses).
Les animaux ne sont pas en reste. Le ragondin, importé d'Amérique du Nord pour sa fourrure, est un vecteur majeur de la leptospirose.
"Les espèces ont toujours voyagé, de tout temps, même naturellement, mais l'augmentation des échanges humains et de biens, de même que le changement climatique, ont largement accéléré les choses", expliquait dernièrement François Delaquaize, chargé de mission au ministère de la Transition écologique, lors d'une réunion de coordination à Clermont-Ferrand.
Un chantier immense
Devant ce fléau, services de l'État et acteurs locaux tentent de se coordonner.
"Le chantier est immense, les réflexes pas encore mâtures et les réglementations récentes. On est à l'aube d'une prise de conscience globale", relève Olivier Péchamat, directeur national des Fédérations régionales de lutte et de défense contre les Organismes Nuisibles (FREDON).
Le plan de bataille ? "Aujourd'hui, on a besoin de méthodes nationales avec des déclinaisons régionales, d'un acteur local indépendant reconnu pour coordonner ce qui existe déjà et de vigies sur les territoires pas encore touchés", détaille-t-il.
"Il y a urgence à mettre en place de la gouvernance. La lutte contre les espèces exotiques, elle se passe sur le terrain pour arracher les plantes et piéger les animaux. Il faut dégager des moyens humains et financiers", insiste François Delaquaize.
Sans viser pour autant l'éradication totale: "il faut être réaliste, il va falloir vivre avec ces espèces comme le frelon asiatique. Mais on peut essayer de ralentir leur progression en aidant par exemple le milieu à se restaurer car celui-ci n'est pas dégradé quand elles ont plus de difficulté à s'implanter", avance Sylvie Martinon du Conservatoire d'espaces naturels d'Auvergne.
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