Une fois par mois, Benoît (le prénom a été modifié), juriste parisien de 35 ans, envoie un texto à son fournisseur. Le numéro change régulièrement mais les codes restent les mêmes: "+Get 27+ pour la weed (herbe de cannabis, ndlr), +rhum+ pour la cocaïne", explique-t-il. Pour d'autres, c'est "vert" ou "marron" pour l'herbe ou la résine de cannabis, "Caro" pour cocaïne, "Marie D" pour MDMA...
Une fois que Benoît a indiqué les quantités désirées et son adresse, un "livreur" sonne à sa porte quelques heures plus tard.
"Je ne sais pas combien ils sont, je ne suis jamais tombé sur la même personne: parfois c'est un petit jeune, parfois un gros balèze de 2 mètres et 100 kg, d'autres fois une fille", raconte-t-il.
Depuis quelques années, les numéros de ces centres d'appels se multiplient et se transmettent par le bouche-à-oreille ou dans les bars et boîtes branchés.
"Les lieux traditionnels de deal se sont trouvés de plus en plus dérangés par la présence policière liée à la création des +zones de sécurité prioritaire+ (en 2012) et aux attentats depuis 2015. Ca gêne les trafiquants et aussi les usagers, devenus plus réticents à se déplacer", explique Michel Gandilhon, chargé d'études à l'Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT).
"Dans des villes comme Marseille par exemple, ça peut être aussi lié à la violence dans les cités, qui dissuade les clients de se rendre sur des lieux dangereux", ajoute-t-il.
Promos et "ventes flash"
Ce système offre une sécurité à des clients mais aussi aux trafiquants qui, en organisant des petites structures cloisonnées où le chef de réseau, les "standardistes" et les "livreurs" n'ont en général aucun contact entre eux, se trouvent moins exposés.
"C'est une infraction non visible par rapport à un deal de cité avec des clients qui font la queue, des riverains qui râlent. On livrerait des pizzas, ce serait pareil", souligne Christophe Descoms, patron de la Brigade des stupéfiants de la PJ parisienne. Les "services de livraison, du type de Deliveroo ou Uber, représentent aussi de nouveaux vecteurs" pour certains afin de démarcher des clients, indique-t-il.
Les "Stups" parisiens ont démantelé deux de ces plateformes en novembre, en Seine-Saint-Denis (14 grammes de cocaïne, 4.000 euros saisis, cinq personnes écrouées) et dans Paris (170 grammes de résine, 180 grammes d'herbe, cocaïne, 36.000 euros saisis, quatre personnes arrêtées).
"Les quantités saisies sont assez faibles au regard de l'investissement que demandent ces enquêtes", admet Christophe Descoms. "Il faut faire de la téléphonie sur les livreurs, se brancher sur la centrale d'appels, puis compléter par des surveillances et des filatures".
Le système présente toutefois des contraintes pour les trafiquants. "Il y a des +frais de port+, des standardistes, des livreurs. Et ça débite des quantités plus faibles: ils font 40 à 50 clients par jour, alors que sur un coin de deal dans une grosse cité, ça peut monter à 400", insiste Christophe Descoms.
Les prix sont donc légèrement plus élevés, environ 20% selon la police. Pour Benoît, "c'est 50 euros pour un pochon de 7 à 8 grammes d'herbe, 70 euros le gramme de cocaïne". "C'est de la bonne qualité et surtout c'est pratique, discret et rassurant".
Pour fidéliser cette clientèle plutôt aisée, les fournisseurs pratiquent un marketing agressif via des relances par SMS ("J'ai reçu de la Green Poison, je suis dispo très rapidement") des "ventes flash" ("Amnesia dispo pour les 100 premiers") ou des offres d'échantillons.
"Parfois, il y a un +cadeau+. Certains de mes potes ont eu des briquets", raconte une cadre, consommatrice occasionnelle de cannabis.
Ces pratiques ne sont pas nouvelles mais les nouvelles messageries instantanées permettent une diffusion plus large. "L'économie des drogues est certes criminelle mais elle fonctionne avec les ressorts du commerce classique", rappelle Michel Gandilhon.
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