Dans ce paradis blanc, coupé du monde durant trois jours la semaine dernière, plus d'un mètre de neige est tombé. "Y'a tout le catalogue des dangers pour qu'il y ait des drames. Alors pour des gens qui ne connaissent pas la montagne...", soupire Jean-Gabriel, chaudement emmitouflé.
Le guide regarde en direction du col de l'Echelle, ce passage à 1.762 mètres d'altitude. Les températures y descendent souvent à moins 20°C, sans compter le vent qui s'y engouffre.
Le versant italien, qu'empruntent les migrants -- surtout des Africains, "jeunes et costauds" -- est avalancheux, et sujet aux chutes de pierres. Côté français, l'hypothermie guette, sans compter le risque de se perdre, car les panneaux indicateurs ont été retirés et certains s'égarent vers le fond de la vallée, croyant gagner Briançon.
D'autres exilés tentent le passage plus simple par la route et le col du Montgenèvre mais les patrouilles incessantes de gendarmes les poussent à se cacher.
"Cet hiver, on a parfois jusqu'à 10 ou 12 arrivées par jour", explique Alain Mouchet, qui organise les maraudes nocturnes quotidiennes avec des bénévoles équipés de matériel de secours. "Les gendarmes sont autant emmerdés que nous: ils ne se sont pas engagés pour courir derrière des gamins dans la neige".
Les professionnels de la montagne ont organisé dimanche une "cordée solidaire" et manifesté sous une banderole "SOS Alpes Solidaires", en écho à "SOS Méditerranée" qui secourt les bateaux de migrants, pour revendiquer leur devoir d'assistance à personne en danger.
Un jeune de Guinée Conakry a d'ailleurs été retrouvé pendant la manifestation. Pieds nus dans la neige, il a été sorti d'un couloir d'avalanche par hélitreuillage du Peloton de gendarmerie de haute montagne (PGHM).
'Réponse assassine de l'Etat'
Moussa, revu quelques heures plus tard sur son lit d'hôpital à Briançon, avait commencé l'ascension du col de l'Echelle à 5 heures du matin. Il s'en tire avec des gelures au pied gauche.
Etienne, accompagnateur en montagne, qui l'avait localisé, lui a dit "Bienvenue en France". "Mais j'ai peur de lui avoir menti", s'émeut-il.
"Il a connu l'enfer en Libye, en Méditerranée, et peut-être encore ici, chez nous, en France".
L'arrivée des migrants, toujours plus nombreux depuis l'hiver dernier, a suscité un élan chez certains citoyens: le grand Briançonnais compte 22.000 habitants et la liste de diffusion de Tous Migrants dispose de 1.350 adresses. Environ 4.000 nuitées ont été assurées depuis moins d'un an chez les citoyens, selon le réseau d'hospitalité Welcome.
Pierre Mumber en fait partie. "Quand j'entendais parler des naufrages en Méditerranée, ça me semblait encore loin. Et là, ils sont arrivés chez nous".
Pour cet accompagnateur en montagne de 53 ans, "on ne peut pas dormir tranquille sachant qu'au bout de la route il y a peut-être des gens en perdition".
Comme ses collègues, il dénonce la "réponse assassine" de l'Etat à la frontière. Un médecin du centre hospitalier de Briançon appelle "les forces de l'ordre à se mettre en retrait pour ne pas aggraver des choses assez graves déjà".
"Je ne suis pas un anarchiste, je ne suis pas pour le slogan +CRS-SS+ de mai 1968 (...) mais il faut être capable de désobéir", insiste Max Duez, membre de la cellule médicale créée depuis l'afflux de migrants.
Cette permanence d'accès aux soins de santé (PASS), ouverte avec l'accord de l'Agence régionale de santé de PACA au sein de l'hôpital, bénéficie aussi aux SDF de la ville et aux saisonniers. "Et c'est grâce aux migrants", souligne le Dr Duez.
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