Mise en déroute en Irak et en Syrie, où elle a perdu la quasi-totalité des terres de son "califat" auto-proclamé, l'organisation a encaissé de terribles coups mais a mis à exécution un plan de repli et de transformation préparé de longue date, assurent-ils.
"Malgré la perte de son califat physique, il n'y a aucun signe prouvant que cette guerre (contre l'EI) est terminée" a assuré mercredi, au cours d'une conférence à Washington, Michael Vickers, sous-secrétaire à la Défense chargé du renseignement de 2011 à 2015.
"Défaire une insurrection prend toujours du temps, de dix ans à plusieurs décennies", a-t-il ajouté. "Et celle-ci est globale, étendue dans l'espace et dans le temps. C'est une insurrection motivée par une idéologie, le genre le plus difficile à vaincre".
Pour le chercheur Bruce Hoffman, de la Georgetown University, "ISIS (acronyme en anglais de l'EI) va subsister, au moins dans un futur prévisible. Ils ont perdu 95% de leur territoire, subi de lourdes défaites mais ils l'avaient anticipé et ont mis en place une stratégie pour assurer leur survie et leur longévité".
Selon lui, le mouvement jihadiste s'est inspiré des mesures prises par Oussama ben Laden, à la tête d'Al Qaïda lors de l'offensive américaine de 2001 qui a suivi les attentats du Pentagone et du World Trade Center.
'Une cible dans le dos'
"Ils ont imité Al Qaïda qui avait compris, il y a plus d'une décennie, qu'il fallait donner une certaine autonomie à des franchises et des organisations affiliées pour assurer sa longévité", explique-t-il. "L'efficacité de cette stratégie a été démontrée en mai par l'attentat contre une salle de concert à Manchester. Il est l'œuvre d'une cellule opérant depuis Benghazi, en Libye".
Des "soldats du califat" aguerris et dotés d'un sérieux bagage technique ont été exfiltrés d'Irak et de Syrie avant que la nasse ne se referme sur eux, estiment les experts, et vont représenter dans les mois et les années qui viennent un formidable danger.
Dans le New York Times du 11 décembre, Ernest Barajas Jr., un ancien démineur des Marines qui participe au nettoyage des zones libérées de l'EI, affirme que les artificiers du mouvement jihadiste "répandent désormais leur savoir dans le monde entier. Ils sont en Afrique, aux Philippines. Ce truc ne va pas cesser de croître".
Le 9 décembre, le Premier ministre irakien Haider al-Abadi a proclamé "la fin de la guerre" entamée trois ans plus tôt éliminer l'EI de son pays.
Pour Katherine Zimmerman, spécialiste du terrorisme au sein du groupe de réflexion American Enterprise Institute (AEI), ce cri de victoire est prématuré.
"C'est trop tôt" assure-t-elle à l'AFP. "Le Premier ministre irakien l'a fait pour des raisons politiques. Le combat est loin d'être terminé et de nombreuses épreuves nous attendent".
En Irak comme en Syrie, estime-t-elle, les même causes risquent d'entraîner les mêmes effets: la communauté sunnite, dont une partie au moins a vu en l'EI un mouvement armé susceptible de la protéger et de défendre ses intérêts, risque, dans les mois ou les années à venir, de se rallier à une nouvelle insurrection sunnite face à ce qu'elle considère comme des régimes oppresseurs, à Bagdad comme à Damas.
"En Irak, tout ancien membre de l'EI a désormais une cible dans le dos", dit-elle. "Les forces de sécurité irakiennes estiment que si vous avez été membre de l'EI, votre sang peut couler. Même si vous avez été enrôlé de force dans ses rangs, comme électricien.
"Et en Syrie", ajoute-t-elle, "le régime d'Assad consolide ses positions, mais le sentiment qui a conduit à la naissance de l'EI persiste. Il faut donc craindre l'avènement d'un autre mouvement. Il y aura autre chose".
Selon Michael Vickers, "il ne faudra pas être surpris quand apparaitra le jihad global version 3.0. Al Qaïda était la version 1.0, l'EI la 2.0. D'autres vont reprendre le flambeau".
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