Dans l'oasis de Bani Walid, aux portes du désert libyen, un foyer de fortune offre logement et soins aux migrants en détresse.
Cette structure, constituée de pièces en briques de ciment entourant une cour centrale, accueille quelque 400 migrants.
"Nous avons dit que nous n'avions pas l'argent pour payer, on nous donnait alors à manger un jour sur deux", se rappelle Amara, barbe fournie sur un visage émacié.
Il est assis sur un parpaing car il ne peut plus se tenir debout. Ses jambes portent encore les séquelles des mauvais traitements infligés pendant les huit mois durant lesquels il a été séquestré.
Un gardien a perdu l'espoir d'obtenir la rançon. Il a eu pitié de lui et l'a libéré avant qu'il ne meure de faim comme ses deux compagnons, raconte Amara.
Il l'a conduit ensuite à ce refuge de fortune dans la zone industrielle de la ville de Bani Walid.
La ville est un lieu de transit pour les migrants clandestins en route vers les côtes, plus au nord.
Située à 170 km au sud-est de la capitale Tripoli, Bani Walid compte une vingtaine de centres illégaux de détention ou de regroupement de migrants, selon un responsable local.
La cité, où le temps semble figé, est hors de tout contrôle des nouvelles autorités libyennes.
L'ancien drapeau vert de la Jamahiriya de Mouammar Kadhafi hissé à l'entrée et dans plusieurs quartiers de la ville, en est la parfaite illustration.
'Battu matin et soir'
Lucky Monday, un Nigerian de 28 ans, est de ceux qui ont trouvé refuge au "Safe House" ("maison sûre").
Il y a été soigné par une équipe de Médecins sans frontières (MSF) qui effectue des visites hebdomadaires.
Venu en Libye pour passer ensuite en Europe, Lucky a été enlevé par une milice qui exigeait une rançon de 2.000 dollars (1.700 euros).
"Ils m'ont battu et brisé la main", dit-il en brandissant son plâtre.
"Ils (me) battaient matin et soir (...) à cause de ces 2.000 dollars".
Lucky et sa famille ont fini par céder après trois mois de détention et ont dû vendre un terrain pour payer la rançon.
Derrière lui, un autre résident du refuge est atteint de tuberculose. Il tousse et crache du sang dans une bouteille en plastique.
"Rasta, il faut l'isoler et l'éloigner des autres en attendant qu'un médecin vienne l'examiner", lance Salah Ghummaidh, vice-président de l'Association de Paix de Bani Walid, qui gère la structure d'accueil.
Rasta Moraba, un Ivoirien de 32 ans, est l'un des fondateurs du "Safe house". Arrivé il y a deux ans en Libye pour y travailler, il a croisé de nombreux migrants lâchés dans la nature par leurs ravisseurs, sans argent ni abri.
"J'ai décidé alors d'aider mes frères et j'ai commencé à organiser les choses ici", explique Rasta qui recevait aussi de l'aide des habitants.
"J'ai vu beaucoup de choses ici. J'ai vu des gens mourir. Ils arrivent ici très malades", à cause de la torture et des mauvais traitements.
A propos des révélations de vente de migrants noirs comme esclaves en Libye, il explique que "des trafiquants achètent les migrants aux passeurs non pour les faire travailler mais pour les séquestrer et gagner par la suite dix fois plus, en exigeant des rançons aux familles".
Tranchées
On découvre tous les mois 30 à 40 morts autour de Bani Walid, souligne le directeur de l'Association de Paix, Hatem Atawaijir.
"La plupart sont morts de faim, mais certains portent des traces de torture".
Sur un terrain de deux hectares, l'association aménage un cimetière destiné aux migrants.
Au milieu d'un paysage lunaire, ce terrain aride parsemé de roches noires volcaniques est situé au bout d'une piste caillouteuse à plus de 15 km au sud-est de la ville.
De longues tranchées d'un mètre de large ont été creusées à la pelleteuse, prêtes à accueillir les prochaines victimes anonymes.
Quatre-cents migrants, dont l'identité ou la nationalité n'ont pas pu être établies, y reposent déjà, affirme M. Atawaijir.
Il laisse éclater sa colère contre les autorités libyennes et la communauté internationale qui selon lui n'accordent "aucun intérêt aux souffrances des migrants ou des populations locales dans le sud" de la Libye.
"Leur seul souci est d'empêcher les migrants d'atteindre l'autre rive" de la Méditerranée depuis les côtes libyennes, regrette-t-il.
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