"Il y avait de l'argent qu'ils donnaient aux mecs de cité pour aller voter. Je l'ai vu de mes propres yeux" : tenus dans un reportage diffusé sur France 3, ces propos de Sabrina Saïdi, une ancienne élue de la majorité qui a participé à la campagne de 2014, ont fait l'effet d'une bombe.
Des accusations "grotesques" pour le maire de Bobigny, Stéphane de Paoli, qui a annoncé avoir porté plainte en diffamation contre Sabrina Saïdi. "Si un tel système existait, on n'aurait pas perdu toutes les élections depuis les municipales !", argumente son directeur de cabinet, Abdeslam Berrouane.
Le conflit qui oppose l'équipe UDI au pouvoir à Sabrina Saïdi, 36 ans, remonte au lendemain de la victoire de la liste "Rendez-nous Bobigny" qui a mis fin, en mars 2014, à un siècle de gestion communiste de la ville-préfecture de Seine-Saint-Denis.
En juin 2014, un tract anonyme dénonce l'embauche à la mairie de l'épouse de Jean-Christophe Soumbou. Considéré comme le n°2 du "gang des Barbares", ce jeune de Bobigny a été condamné à 18 ans de prison pour l'assassinat du jeune juif Ilan Halimi en 2006.
"Tu crois que tu parles à qui ?"
Soupçonnée d'être l'auteur du tract, Mme Saïdi est convoquée dans le bureau du premier adjoint, Christophe Bartholmé. "Tu crois que tu parles à qui ? Y'a personne qui me parle comme ça dans cette ville !", éructe Kianush Moghadam, son bras droit, présent lui aussi.
L'adjointe ayant enregistré la conversation, un procès s'ensuit. A la barre, M. Moghadam, 35 ans, justifie le recrutement de la femme de Jean-Christophe Soumbou par ses liens d'amitié avec ce dernier.
Relaxée en diffamation, Sabrina Saïdi obtient en janvier 2016 la condamnation de Christian Bartholmé et Kianush Moghadam pour violences en réunion. Ces deux proches collaborateurs de Jean-Christophe Lagarde, le député de la circonscription et patron de l'UDI, seront jugés en appel en janvier.
Pour Ugo Portier, candidat de La France insoumise aux dernières législatives, ces accusations d'achats de voix "n'étonnent personne à Bobigny, hormis le maire". Pour lui, tout commence par la volonté du député Lagarde, élu depuis 2002, de faire basculer la ville à droite pour renforcer son assise électorale.
"Certaines personnalités de Bobigny étaient prêtes à tout pour aider l'UDI dans cette entreprise", poursuit l'opposant, "et la question était : quelle cité est prête à basculer dans le camp UDI ? Par exemple, Kianush Moghadam s'est fait embaucher comme assistant parlementaire de Lagarde sur la promesse qu'il pouvait lui apporter la cité Paul-Eluard".
"C'est faux et absurde, parce qu'à l'époque où M. Moghadam m'a proposé ses services, vers 2010-2011, personne - et moi le premier - n'imaginait que la ville pouvait échapper aux communistes", a réagi Jean-Christophe Lagarde. Kianush Moghadam n'a pas donné suite aux sollicitations de l'AFP.
Après l'élection, les soutiens les plus actifs ont été récompensés par des postes en mairie. Or, à en croire un rapport provisoire de la Chambre régionale des comptes (CRC) que l'AFP s'est procuré, nombre de ces nominations témoignent "d'un recrutement fléché, effectué dans des conditions irrégulières".
Parmi les 12 dossiers passés au crible : plusieurs trentenaires, titulaires d'un BEP d'artisan-boucher ou d'un brevet d'éducateur, mais rémunérés à des salaires normalement accessibles après 5, 10, voire 20 ans d'ancienneté dans la fonction publique.
Six recrutements concernent également des responsables d'associations subventionnées par la commune. Des responsables, souligne la CRC, qui ont "publiquement soutenu la campagne électorale de l'actuelle majorité".
"Carrières fulgurantes"
Dans l'organigramme municipal figure aussi un homme condamné pour vol aggravé et outrage à personne dépositaire de l'autorité publique. Un profil "peu compatible avec les fonctions d'agent public", selon la CRC.
Une ancienne chargée de mission, titulaire d'un diplôme d'architecte-urbaniste, a raconté à l'AFP être "tombée de sa chaise" en découvrant qu'on avait nommé à la direction de l'urbanisme de cette ville de 50.000 habitants "quelqu'un qui n'avait aucune expérience" dans ce domaine. Après huit ans de bons et loyaux services, cette quadragénaire a été "virée du jour au lendemain", quelques mois après les municipales.
Ces "carrières fulgurantes", ces "salaires disproportionnés", ces "postes plus ou moins occupés", la CGT de Bobigny n'a eu de cesse de les dénoncer depuis 2014, y compris devant le tribunal administratif. Début décembre, elle a exhorté l'Etat à la fermeté pour que "des territoires entiers cessent d'être livrés à des gens qui n'ont que faire des règles et des lois de la République".
Jusque-là désunie, l'opposition de gauche tente de se structurer. Ugo Portier a fondé avec deux militants PS et EELV une association politique baptisée Poing commun : "C'est parce qu'il n'y a plus de projet commun qui unisse les citoyens qu'un tel système clientéliste et individualiste a pu se construire".
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