Sur cinq hectares de prairie, une dizaine de baudets triés sur le volet accompagnent ces maraîchers de tous âges qui préfèrent l'âne travailleur au tracteur.
Les qualités requises pour intégrer la voie royale de l'Enam ? Pour l'animal, "un bon mental et une morphologie costaud, 300 kilos pour 1,30 mètre de haut", explique Pascal Sachot, directeur de l'Enam.
Côté humain, une saine motivation et 273 euros suffisent pour trois jours "d'initiation à la traction asine" dans cette ferme-école de Villeneuve-sur-Lot, unique en France.
D'emblée, le directeur de l'établissement tord le cou aux idées reçues: "l'âne n'est ni bête, ni têtu!".
"Major de la promo"
Dans l'écurie, le major de la promo, c'est Diabolo, un "Pyrénées" noir et volontaire. Dès potron-minet, il attaque le sillon gelé par le froid piquant de l'automne, dans un brouillard à couper au couteau.
Une demi-douzaine d'agriculteurs convertis au "bio" ou fraîchement installés avec peu de moyens, sont venus d'Ile-de-France, Occitanie ou Nouvelle-Aquitaine pour apprendre aussi l'art de biner l'épinard, butter la salade, ou griffer la blette sur 5.000 m2 de "tunnels" (serres).
Les yeux encore embrumés de sommeil, les stagiaires s'exercent à tour de rôle à la conduite sur sillons avec maître Diabolo. Jean-Luc Richevon, 50 ans, se met en position, guides (rênes) en main, trois mètres derrière "l'âne-école".
Cinq mots, cinq petits mots magiques pour établir la relation fusionnelle avec l'animal: "Holà" (pour l'arrêt), "marche", "recule", "gauche", "droite". Pour sa première fois, Jean-Luc tâtonne, s'emmêle et s'exaspère.
Ferme rappel à l'ordre de l'instructeur en chef: "donner la bonne consigne au bon moment, et ne jamais changer le code. L'intonation de la voix fait tout: la sanction, l'avertissement ou l'encouragement", assène M. Sachot.
Qui de l'âne ou de l'apprenti-maraîcher conduit l'autre ? Diabolo repère vite les cancres et "rectifie les erreurs", s'amuse M. Sachot.
Jean-Luc Richevon exploite trois hectares de vigne dans le Médoc. Pour lui, "le gros avantage de l'âne, c'est qu'on peut l'utiliser pour le labour même en mauvaises conditions, parce qu'il fait moins de dégâts qu'un tracteur". L'âne à la vigne, "c'est aussi un bon outil de promotion pour le domaine" qui se revendique "bio".
Mémoire d'âne
Educatrice récemment reconvertie dans le maraîchage bio, Camille Foriche, 28 ans, milite pour un retour à "une agriculture, moins intensive, plus humaine", mais rentable quand même.
"Avec un cheval, explique la maraîchère, il faut 80 cm entre les rangs. Pour un âne 40 cm suffisent. Donc sur la même surface, on peut produire deux fois plus de légumes".
A la ferme-école, l'exercice frise la haute voltige: les baudets peuvent évoluer dans des couloirs d'à peine 20 cm.
"Le percheron n'avance que par la répétition, l'âne retient la chose apprise pour la vie", serine M. Sachot.
D'où l'intérêt pour Camille d'apprendre "à ne pas faire n'importe quoi avec Fidji", son ânon de deux ans acquis l'an dernier, explique-t-elle. La maraîchère girondine est ici "pour faire (son) éducation", mais aussi son marché. Elle repartira sans doute avec l'âne Eratxu, moyennant 2.500 euros (hors taxe). Une bagatelle au regard des dizaines de milliers d'euros que lui coûterait l'achat d'un tracteur tout équipé.
Comme elle, à la fin de chaque session, une bonne moitié des stagiaires de l'Enam se laisse convaincre de rentrer à la maison avec un bourricot du cheptel.
"L'âne laboureur, c'est zéro pétrole, zéro bruit, zéro tassement du sol", et un dévouement inconditionnel au maître, martèle Pascal Sachot au fil des stages. "L'animal est sensible, affectueux, et peut se jeter dans le feu pour vous, ajoute l'expert, mais il ne faut JAMAIS le trahir", insiste-t-il.
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