Plus de 500.000 internautes ont visionné en quinze mois "Let a B!tch know", le clip du pape français de ce mouvement de moins en moins confidentiel. On y voit des danseurs lascifs ou athlétiques, maquillés, portant cheveux longs et survêtement. Ils détruisent aussi une voiture à coups de barre de fer, avant de l'incendier.
"Le voguing, c'est un espace politique dans lequel on peut être ouvertement homosexuel et de couleur", affirme Kiddy Smile, à la chevelure teinte en jaune et orange, lors d'un entretien avec l'AFP. Lui dit faire partie des "opprimés".
"Mon quotidien, c'est la France, un pays qui n'arrive pas à assumer son racisme ambiant", à l'oeuvre "même à l'intérieur de la communauté LGBT", soupire-t-il. "Et en plus de ça, il faut gérer toute l'homophobie".
De cette double discrimination naît dans les années 1960 aux Etats-Unis le mouvement "ball room" (salle de bal), dont le voguing est une discipline.
Marginalisées au sein de la communauté LGBT américaine, "les drag-queens noires et latinos se sont saisies du mouvement Black Power pour politiser leur propos", raconte Lissia Benoufella, une danseuse titulaire d'un master en étude des genres, spécialiste du sujet.
Elles ont alors organisé leurs propres concours de beauté dans des "ball rooms", où elles posaient et défilaient en parodiant les élites blanches, dont elles grossissaient les traits.
Le voguing dansé a ensuite progressivement vu le jour. La magazine "Vogue était l'incarnation de tout ce à quoi cette communauté ne pouvait avoir accès : luxe, mode, capitalisme, richesse", énumère-t-elle. Le temps d'un soir, "voguer" permettait à ces "gays, pauvres, souvent travailleurs du sexe", de "devenir top-models, riches, blancs".
Près d'un demi-siècle plus tard, Paris s'est mué en capitale européenne du voguing. La "danse de combat" y sert de "refuge" à quelques centaines de jeunes de couleur, "qui ne vivent leur homosexualité qu'au sein de cette scène confidentielle", remarque Yohan Amaranthe, président du collectif Paris Black Pride.
"Politisation"
Les participants aux "balls" (bals) appartiennent à des "houses", comprendre des clans, réunis autour d'une "mother" (mère), qui enseigne comment bouger mais aide aussi ses "kids" (enfants). "Il y a vraiment une dimension sociale dans le +ball room+. C'est ça l'essence du mouvement", observe-t-il.
Aux Etats-Unis, les mères de substitution hébergeaient, nourrissaient, soignaient leurs ouailles, mises au ban de la société. En France, l'un des pionniers du mouvement, Rashaad, dit "Mother Rheeda", qui a fondé la "House of LaDurée", plaide l'entraide entre la trentaine de membres de sa "famille".
Rashaad est aussi l'un des rares à enseigner ses chorégraphies complexes dans une salle de la banlieue parisienne. "Il faut exagérer au maximum", demande-t-il à ses élèves en mimant un mouvement de hanche.
Le voguing, fait de mouvements subtils des mains, de grands écarts impressionnants et de passages accroupis très physiques, "c'est très maniéré", mélange d'"exagération de la féminité" et d'"autodérision", commente-t-il.
Mais surprise: lors du cours auquel l'AFP a assisté, la majorité de ses élèves était des femmes, huit sur neuf étaient blancs, et la seule à ne pas l'être se disait hétérosexuelle.
"Les noirs ne viennent pas par peur des représailles de leur famille", déplore Rashaad. La communauté voguing parisienne, soit environ 300 membres selon Kiddy Smile, se retrouve ainsi progressivement "infiltrée par des gens blancs et hétéros", regrette l'artiste.
Le phénomène a démarré en 1990 aux Etats-Unis avec la chanson "Vogue", de Madonna, que Lissia Benoufella qualifie d'"incarnation de l'appropriation culturelle". Récemment, Katy Perry a repris des chorégraphies de voguing dans un clip, mais "les danseuses étaient des blanches". Tout comme les performeuses d'un show pour la marque de luxe Dior, soupire-t-elle.
Le voguing craint de perdre son âme. "N'importe qui peut apprendre une danse", peste Mme Benoufella, pourfendant "le capitalisme", qui "se réapproprie tout, mais oublie l'essentiel: sa politisation."
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