Exit "et ne nous soumets pas à la tentation", qui pouvait laisser penser que les fidèles étaient poussés par leur Dieu sur la pente glissante du péché. Place à "et ne nous laisse pas entrer en tentation", qui érige plutôt leur Créateur en protecteur bienveillant.
Le nouveau texte, qui ne modifie que cette sixième "demande" d'une prière qui en compte sept, sera dit dans toute célébration catholique en France à partir du 3 décembre, premier dimanche de l'Avent, qui ouvre l'année liturgique. Et même dès samedi, jour de messe dominicale "anticipée".
Adoptés par la commission épiscopale catholique chargée des traductions liturgiques pour les pays francophones, les trois petits mots qui changent ont été aussi ratifiés par l'Eglise protestante unie de France (EPUdF).
Les catholiques du Bénin et de Belgique ont précédé le mouvement dès la Pentecôte, en juin. Et même en France, nombre de paroisses ont déjà introduit la nouvelle formule, tablant sur une longue période de transition pour faire entrer dans les moeurs cette modification d'une des rares prières récitées de mémoire.
"C'est un changement qui va bouleverser certaines habitudes, susciter un peu de bafouillage pendant quelque temps", a prédit Mgr Guy de Kerimel, président de la commission épiscopale pour la liturgie au sein de la Conférence des évêques de France (CEF).
Pourquoi changer une prière si familière, dont la formulation actuelle n'avait pas varié depuis plus d'un demi-siècle? L'occasion - la traduction intégrale de la Bible liturgique en français, qui a mobilisé pendant 17 ans théologiens, exégètes et traducteurs - a fait le larron.
Publiée en novembre 2013, cette nouvelle Bible comporte bien la formule "et ne nous laisse pas...". Mais pour que le "Notre Père" change à la messe, ce n'est pas la Bible qui fait foi, mais le missel romain. Or sa nouvelle traduction ne sera pas prête avant 2019. Lassés d'attendre, les évêques francophones ont pris les devants pour le seul "Notre Père".
Il faut dire que le texte de 1966, fruit d'un compromis oecuménique dans la foulée du concile Vatican II, n'a jamais fait l'unanimité. Dieu peut-il soumettre ses enfants à la tentation, domaine réservé du diable? Le théologien protestant Jacques Ellul jugeait cette thèse absurde, quand d'autres croyants, notamment dans les rangs catholiques, y voyaient un présupposé quasi blasphématoire.
Interprétation "ambiguë"
"En soit, la traduction n'était pas fausse, mais l'interprétation était ambiguë", arbitre Mgr de Kerimel. Fidèle au texte grec des évangélistes Matthieu et Luc, sinon à la manière - incertaine - dont Jésus aurait prononcé ces mots dans sa langue araméenne, l'ancienne formule pouvait contredire l'esprit des Ecritures.
La nouvelle n'a pas non plus que des adeptes. Pour le Conseil national des évangéliques de France (Cnef), elle évite certes mieux l'idée que le Créateur "serait responsable de la tentation, mais elle édulcore la souveraineté de Dieu". "Dieu permet que nous soyons tentés", soutient aussi l'abbé catholique traditionaliste Guillaume de Tanoüarn, pour qui "le salut est une lutte" et ne relève pas du "monde des bisounours métaphysiques".
L'animateur-philosophe Raphaël Enthoven a, lui, fait l'hypothèse sur Europe 1 que si le mot "soumets" disparaissait, c'est que l'Eglise voulait "se prémunir contre toute suspicion de gémellité" avec l'islam qui, "dit-on, signifie soumission". Soupçon "triste et ridicule", a cinglé le porte-parole des évêques, Mgr Olivier Ribadeau Dumas. Le chroniqueur a sans tarder fait son "mea culpa", présentant ses "excuses plates aux gens de bonne volonté, nombreux, qui prient du fond du coeur et ne connaissent pas la haine".
L'Eglise espère pour sa part que la modification opérée sera "l'occasion pour les chrétiens de se réapproprier" le Notre Père. Une prière dans laquelle Mgr de Kerimel voit "une réponse au déficit de fraternité de nos sociétés".
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