"Tout est dans son jus et la machine la plus moderne date de 1980...". Eric Forestier, le directeur général, aurait l'air de s'excuser s'il n'était en réalité très fier: Arpin est classée depuis 2006 Entreprise du Patrimoine Vivant, label qui distingue l'excellence des savoir-faire.
Dans cette bâtisse où les planchers craquent et où une partie de l'électricité provient encore du Versoyen, torrent qui dévale à ses pieds, 14 machines ont été classées au titre des Monuments historiques. Plusieurs fonctionnent encore comme le loup batteur de 1865 ou l'ourdissoir de 1890.
Si l'univers de base d'Arpin est le drap de laine robuste, répandu au XIXe siècle par Pierre Blanc, "pape de Bonneval-sur-Arc" en Savoie et colporteur de son état, il s'est enrichi d'une activité décoration et d'une autre de prêt-à-porter.
Ces trois pans pèsent chacun pour un tiers dans les 3,5 millions d'euros de chiffre d'affaires estimés pour 2017. Dans cette filature, qui emploie 14 salariés, environ 20.000 mètres linéaires sont tissés chaque année, pour être vendus à la coupe ou transformés en rideaux, plaids, jetés de lits, poufs, sacs à main ou vestes...
"Notre propriétaire Jean-Philippe Caille a cette formule: +On est une start-up de 200 ans+. Il faut se réinventer, aller vers de nouveaux clients et de nouveaux tissus", explique M. Forestier.
Et dans le viseur de la petite filature artisanale du bout de la Tarentaise, les Etas-Unis, l'Asie et surtout le Japon et la Corée du Sud: "Ils y sont fans de notre laine !".
Car à l'époque des technologies triomphantes, "les gens redécouvrent les qualités intrinsèques de la laine: ça tient chaud, ça régule la température, c'est déperlant (l'eau glisse dessus), respirant et anti-feu", énumère l'ancien publicitaire, revenu à plus "d'authenticité".
Produit de luxe
Alors si vous y ajoutez "le 100% Made in France, le luxe, l'art de vivre à la française et les Alpes, on a vraiment une carte à jouer à l'export", s'enthousiasme le dirigeant.
D'autant que deux jeunes femmes travaillent d'arrache-pied à créer de nouveaux produits, comme ce "voile de laine" tissé en mérinos d'Arles - seule infidélité aux moutons des vallées alpines - grâce au métier Jacquard électronique.
"On perpétue la tradition mais on évolue avec notre temps. Avant, c'était des tissus bruts, authentiques. On peut maintenant aller vers des tissus plus raffinés, plus dessinés", affirme Sarah Martineau, 24 ans, responsable qualité, R&D et tisserande.
C'est avec un respect infini qu'elle manie l'ourdissoir centenaire pour préparer sa chaîne, sous l'oeil attentif de Louis Vignon, 60 ans, "croiseur de fils" lyonnais, qui a mis "5 à 6 mois à la former".
Mais tout le destin de la filature est suspendu au savoir-faire de Jacques Arpin, 8e génération du nom et maître-lainier à ce jour sans successeur.
"Il va falloir que la maison s'applique à le remplacer, car il a le même âge que moi", souffle M. Vignon, qui évoque à demi-mots la greffe ratée entre un apprenti, vite reparti, et l'alchimiste de la toison.
Car c'est à Jacques Arpin que revient de choisir la laine, de la faire sécher au grenier, de la battre, la carder et la filer. Et ce, depuis l'âge de 17 ans. Il met autant de délicatesse à sentir la fibre du lainage qu'à régler ses monstres mécaniques.
"Transmettre, c'est compliqué. Compliqué ! Il faut trouver quelqu'un d'intéressé et qui connaisse un peu mais comme c'est un métier qui n'existe plus, c'est pas évident", admet l'artisan.
Et puis, "il faut avoir l'oeil partout et les yeux derrière la tête", ajoute-t-il, dressant le portrait-robot d'un jeune que la famille Arpin n'a pas fourni. Tous partis vers "d'autres métiers, d'autres vies".
Nulle nostalgie apparente chez cet homme, qui espère sans l'avouer ne pas finir comme le "dernier des Mohicans".
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