Ce fonctionnaire turc à la retraite fait partie des centaines de pêcheurs qui se tiennent côte à côte sur les rives du Bosphore et de la Corne d'Or et dont les silhouettes sont emblématiques de la métropole turque.
Mais l'image bucolique cache une triste vérité: l'écosystème du Bosphore est en danger, victime notamment d'une pratique de la pêche à la ligne en pleine explosion. En cause, les prises accessoires de certaines espèces et le non-rejet à la mer des poissons juvéniles pêchés.
"Je pêche depuis que j'ai 15 ans", raconte à l'AFP Fuat, 65 ans, en jetant sa ligne dans les eaux de la Corne d'Or, un confluent du Bosphore que domine le quartier historique de Sultanahmet, sur la rive européenne de la ville.
"Par le passé, il y avait beaucoup de poissons et il y avait moins d'hommes", explique-t-il. "Ces magnifiques poissons ont disparu à cause de la population croissante et d'une pêche négligente".
Appâts et samovars
Le Bosphore, un détroit qui lie la mer Noire et celle de Marmara, est une plaque tournante pour la pêche et grouille, à certaines périodes de l'année, de spécimens prisés comme le tassergal, le bar et la bonite.
De nombreux pêcheurs restent là jour et nuit, se serrant autour de braseros de fortune et sirotant du thé brûlant préparé dans des samovars, à côté de petits stands qui vendent hameçons, appâts et pièges servant à leurrer le poisson.
Tandis que la ville se transforme à toute vitesse au rythme des projets immobiliers, ces scènes de pêche diffèrent peu des photographies granuleuses en noir et blanc des années 1950 montrant des pêcheurs canne en main sur le pont de Galata, qui enjambe la Corne d'Or.
Selon Erol Orkçu, président de l'association des pêcheurs sportifs et amateurs à Istanbul, le nombre de pêcheurs amateurs a considérablement augmenté avec l'explosion de la population stambouliote.
Mais les stocks de poisson ont baissé de 50% par rapport aux années 1980 et 1990, assure-t-il. "La situation se dégrade. La population piscicole est en déclin", dit-il, réclamant une politique de protection des écosystèmes marins.
Au banc des accusés, la pollution et des pratiques de pêche destructrices: "90% des poissons pêchés depuis le pont de Galata sont juvéniles, ce qui n'est pas légal", explique M. Orkçu.
Cette surpêche flagrante est alarmante, estime Tomris Deniz, professeur à l'Université d'Istanbul et spécialiste des questions de pêche. Elle dénonce un manque d'inspection.
"Vous imaginez l'état des stocks si, disons, 100.000 pêcheurs attrapent chacun un kilo dans le Bosphore en pleine saison migratoire ?", s'étrangle-t-elle, déplorant l'absence de données sur les réserves de poissons en Turquie.
De plus, même si de nombreux pêcheurs semblent être effectivement des amateurs, beaucoup vendent leur poisson illégalement, dans le contexte économique tendu d'un pays où le chômage touche plus de 10% de la population active.
"La pêche devient visiblement une source de revenus pour les chômeurs", observe-t-elle. Une étude menée par le département où travaille Mme Deniz montre que 16% des pêcheurs du pont de Galata vendent leurs prises.
'Thérapie'
Les pêcheurs, parmi lesquels se trouvent quelques femmes, se considèrent comme un symbole de la ville.
Un voile encadrant son visage et des lunettes de soleil sur le nez, Serife Dogan, 56 ans et diabétique, s'est mise à la pêche sur les conseils de son médecin il y a deux mois.
"Je suis vraiment une amatrice. Les hommes m'aident à lancer ma ligne et à retirer le poisson du hameçon", explique-t-elle, pendant qu'un autre pêcheur lui montre les ficelles de cet art, non loin du pont de Galata.
"Je viens le matin et peux rester parfois pendant sept heures (...) C'est comme une thérapie", sourit-elle.
Revendiquant une "chance du débutant", elle dit pêcher presque un demi-kilo de poisson chaque jour, qu'elle ramène chez elle pour le partager avec sa famille et ses amis.
De retour sur le pont de Galata, Fuat s'agace de la pêche incontrôlée dans le Bosphore: "Ils attrapent tous les bancs de poissons juvéniles, causant leur extinction".
"Avant", quand les eaux du détroit regorgeaient de poissons, "je prenais (certains jours) jusqu'à 8 ou 9 kilos de bonite et des tassergals de la taille de ma jambe", se souvient-il.
Malgré la situation, il continue de venir à Galata, y restant jusqu'à 10 heures par jour: "Au lieu de jouer au backgammon dans un café, j'attrape assez de poisson pour nourrir ma famille".
"Et si j'en ai plus que nécessaire, je le vends...", ajoute-t-il, remplissant un seau destiné à un "client spécial".
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