Elle avait déjà quatre enfants en décembre 2012 au moment de l'adoption d'une loi sur le contrôle des naissances. Mais l'entrée en vigueur du texte a été bloquée, le centre de planning familial proche de chez elle a épuisé ses réserves de pilules contraceptives et elle a eu deux autres bébés.
"Je ne veux plus d'enfants. Les envoyer tous à l'école représente un effort. Un de plus et je n'aurai plus de temps pour moi", explique à l'AFP cette ancienne vendeuse.
La famille Albos vit du salaire journalier de 500 pesos (huit euros) du père plombier, au "Village du Paradis", un bidonville où des millions de personnes survivent dans une pauvreté crasse. Leur bicoque au sol en terre battue se trouve derrière un égout puant à ciel ouvert.
La loi prévoyait à l'origine la gratuité pour les plus pauvres de la pilule et autres implants contraceptifs. Elle visait à protéger les femmes de la mortalité en couches et des risques sanitaires associés à la grossesse.
Le texte avait été salué comme une grande victoire pour les droits des pauvres face à la puissante Eglise catholique et ses alliés conservateurs au Congrès philippin.
Les Philippines, ancienne colonie espagnole, sont le bastion du catholicisme en Asie: environ 80% des 103 millions de Philippins sont catholiques.
Et l'Eglise a le bras long, ce qui explique que l'avortement et le divorce soient toujours illégaux dans l'archipel, où la croissance démographique figure parmi les plus élevées du monde.
En 2015, le taux de fécondité avait toutefois ralenti, à 2,33 enfants par femme contre six dans les années 1970, d'après les statistiques de l'ONU.
Mais le taux de mortalité maternelle restait élevé, à 114 pour 100.000 naissances vivantes.
'Tigre de papier'
L'adoption de la loi n'a toutefois que sonné le départ d'une nouvelle longue bataille. Contesté en justice, le texte n'est entré en application qu'en avril 2014.
La Cour suprême l'a jugé constitutionnel mais l'a en bonne partie dénaturé, en annulant les pénalités prévues pour les responsables et travailleurs sanitaires refusant de fournir des contraceptifs. Et les financements de la loi ont été réduits à peau de chagrin par ses opposants au Congrès.
"Nous n'avons pas décollé. On est sur le tarmac depuis cinq ans", dit à l'AFP le secrétaire d'Etat à la Santé Gerardo Bayugo. Sans les pénalités prévues à l'origine, cette loi "c'est un tigre de papier", dit-il. Et le manque de fonds implique que les pouvoirs publics ne peuvent acheter suffisamment de contraceptifs.
Le président Rodrigo Duterte, arrivé au pouvoir en 2016, a comme ses prédécesseurs tenté de rendre la contraception accessible au plus grand nombre.
Mais la route est pavée d'embûches.
En 2015, les croisés anticontraception ont saisi la Cour suprême avec le soutien de l'Eglise pour lui demander d'interdire les pilules, implants, dispositifs intra-utérins et contraceptifs injectables au motif qu'ils étaient abortifs, et donc anticonstitutionnels.
La Cour suprême a alors ordonné la suspension de leur distribution le temps que l'Agence philippine des produits alimentaires et des médicaments (FDA) tranche la question.
Elle vient de le faire, décrétant que des dizaines de contraceptifs n'étaient pas abortifs et que le gouvernement pouvait en conséquence les distribuer gratuitement.
Financements problématiques
Les préservatifs n'étaient pas concernés par la dispute mais ils sont utilisés par seulement 2% des Philippins, pour des raisons à la fois culturelles et de coût, selon le ministère de la Santé.
A la suite de la décision de la FDA, le gouvernement a commencé à distribuer 500.000 implants - un petit bâtonnet inséré sous la peau qui libère en continu des hormones empêchant l'ovulation.
Mais c'est loin d'être assez, déclare M. Bayugo. "On n'a pas résolu la question du financement. C'est notre problème depuis cinq ans."
D'après le ministère de la Santé, six millions de couples ont besoin de contraceptifs mais n'y ont pas un accès adéquat.
Le budget 2017 de 165 millions de pesos (2,8 millions d'euros) couvrira seulement les besoins de deux millions de ces couples, ajoute le secrétaire d'Etat. Le Congrès avait rejeté le budget initial de 1,2 milliard de pesos (20 millions d'euros).
Et pour 2018, le ministère de la Santé demande 342 millions de pesos, soit un tiers seulement des sommes nécessaires pour vraiment appliquer la loi.
ONG à la rescousse
Quand la distribution d'implants par le gouvernement était encore interdite, Myrna Albos avait frappé à la porte de Likhaan, une association qui bénéficie de financements étrangers. Après la naissance de son sixième enfant cette année, elle a finalement obtenu un implant.
Des ONG comme Likhaan viennent en aide à environ 150.000 personnes non couvertes par les services de santé, selon la directrice de Likhaan, Junice Melgar.
Mais leurs programmes modestes ont également essuyé des revers.
En 2016, des dizaines de femmes paniquées avaient exigé le retrait de leur implant dans les cliniques de Manille, raconte Mme Melgar à l'AFP. Incidents confirmés par M. Bayugo. Elles avaient été effrayés par un politicien qui prétendait que les implants provoquaient le cancer, la polio et même la cécité.
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