Depuis, ce jeune homme, "naturellement androgyne" comme il dit, tente de contrôler son "côté efféminé": il fait attention à la manière dont il marche, dont il parle, dont il s'habille et s'est même fait pousser une fine barbe qui entoure son visage enfantin.
"Il faut bien que je reste en vie si je veux continuer à mener le combat", lâche-t-il.
En 2015, cinq agents de police l'ont enfermé dans une camionnette, raconte-t-il. Ils ont passé en revue toutes les photos de son téléphone portable, ont ri lorsqu'il parlait avec les mains pour se défendre, et ont menacé d'appeler son père pour lui révéler qu'il était homosexuel... avant de lui demander un pot-de-vin en échange de sa libération.
"J'ai rien lâché, rien. S'ils m'avaient pris en flagrant délit, peut-être... Mais là, je leur ai dit que je connaissais mes droits. On n'arrête pas quelqu'un parce qu'il marche comme une fille", dit-il à l'AFP.
"Je leur ai tenu tête. Mais la vérité, c'est qu'une fois rentré chez moi, j'ai fondu en larmes. Quelque chose s'est brisé en moi ce jour-là", poursuit le jeune homme habillé d'un T-shirt noir et d'un jean délavé, comme n'importe quel étudiant de Lagos.
14 ans de prison
Alors, lorsqu'il a entendu début août que plus de 80 personnes avaient été interpellées, accusées d'avoir "commis des actes homosexuels et d'avoir encouragé des hommes à se rencontrer pour perpétrer des faits contre-nature", les souvenirs sont remontés: "Je n'arrêtais pas de m'imaginer ce par quoi ils étaient en train de passer".
Parmi eux, 28 hommes sont attendus devant une Cour de justice de Lagos ce mercredi. Selon "la loi contre l'homosexualité", votée en 2014 et acclamée dans ce pays ultra-religieux, ils risquent jusqu'à 14 ans de prison ferme.
Douze mineurs présents au moment des faits ont été jugés à huis clos, sans qu'aucun détail ne soit dévoilé à la presse.
On ignore tout de ce qu'il est advenu des autres.
"Souvent, les accusés trouvent des moyens de sortir du circuit de la justice, et on n'entend plus jamais parler d'eux", explique Bisi Alimi, en allusion aux pots-de-vin régulièrement versés à des juges pour enterrer des affaires.
Défenseur des droits LGBT, il est le premier Nigérian à avoir fait son coming-out, à la télévision en 2004. Depuis, il vit en exil à Londres.
'Yahoo Boys'
Personne au Nigeria n'a jamais été officiellement condamné pour homosexualité. Mais dans un pays où la justice est particulièrement corrompue, les associations de défense des droits homosexuels dénoncent une législation qui encourage la corruption et l'extorsion.
"Ce pays est tellement pourri que si tu es riche et gay, tu t'en sortiras toujours. Mais si tu es pauvre et gay, tu vas passer le reste de ta vie à croupir en prison", estime Daniels, qui vit lui-même dans un quartier précaire et surpeuplé de Lagos.
La police profite de la loi, tout comme les "Yahoo boys" - le surnom des arnaqueurs en ligne au Nigeria: ces derniers s'infiltrent sur Grindr ou sur d'autres sites de rencontres spécialisés en créant de faux profils.
Sur le lieu de rendez-vous, la victime est ensuite molestée et doit verser une certaine somme d'argent, sans quoi l'arnaqueur révélera son homosexualité à sa famille.
"Les rencontres en ligne sont tellement stressantes, on devient tous parano", explique Walter, fondateur du site Kito Diaries.
Kito Diaries ('le journal du sexe', en argot) est un site gay assumé, comme on en trouverait partout dans le monde. A la différence près que sur le forum, où sont inscrits près de 3.000 anonymes, on s'échange les profils des "Yahoo boys" à éviter et des précautions à tenir.
Avant d'accepter tout rendez-vous, "il faut absolument (s'assurer) que la personne est connectée d'une manière ou d'une autre avec l'une de tes connaissances, sinon c'est hors de question", raconte Walter. "Et il faut toujours donner rendez-vous dans des lieux publics et éviter certains quartiers, c'est la règle numéro 1".
La 'parano' et les larmes
Les fêtes clandestines dans les hôtels, comme celle à Lagos où la police a fait une descente début août, ou à Zaria, dans le nord musulman du Nigeria où 53 hommes ont été arrêtés mi-avril, sont également "très fréquentes", selon l'activiste M. Alimi.
"Ce sont les rares endroits où il est possible pour les gays de se rencontrer et d'être eux-mêmes pendant quelques heures", confie-t-il à l'AFP depuis Londres. "Mais je leur déconseille toujours d'y mettre les pieds. C'est trop risqué".
Et pourtant, malgré la "parano", les larmes et la peur, Walter et Daniels, la petite vingtaine, n'ont aucune envie de quitter le Nigeria.
"Il y a trop de combats à mener ici", sourit Walter. "Ils ont voulu nous faire taire avec cette loi (contre l'homosexualité), mais grâce à elle, on mène la lutte ensemble, on s'organise".
"J'ai eu trois ans pour apprendre à vivre avec mes peurs", depuis le vote du texte en 2014, dit-il.
La peur s'est transformée en colère.
Cette loi aura au moins eu un aspect positif, ironise Walter: "Ils (les autorités) se sont enfin rendu compte que l'on existe..."
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