En 1917, le grand-père de Boris a dû abandonner le complexe, composé de plusieurs bâtiments dans un parc, pour fuir la Russie, comme une grande partie de l'aristocratie du pays à la suite de la révolution d'octobre.
Un siècle plus tard, Boris Netchaïeff est revenu dans la patrie de ses ancêtres avec l'idée de faire sortir de l'oubli le domaine familial, situé près d'Oriol à 270 kilomètres au sud-ouest de Moscou.
"Je rêve de restaurer le domaine depuis mon enfance. C'est une grande partie de ma vie", explique Boris, qui a grandi en France en écoutant les histoires de son grand-père. Il habite désormais à Moscou avec sa femme et ses enfants.
Le domaine de sa famille est l'un des milliers construits en Russie par des aristocrates et des marchands et qui ont subitement été nationalisés par les autorités bolchéviques au début du XXe siècle.
Sous le régime soviétique, la plupart sont devenus des institutions publiques, d'autres des musées.
Mais lors de la dissolution de l'URSS, la majorité d'entre eux n'étaient plus que des ruines, placés officiellement sous la protection de l'Etat mais en réalité terriblement négligés, par manque de moyens ou de volonté.
Zéro profit
"Dire que ces domaines connaîtront un avenir radieux serait difficile...", lance Vadim Soloviev, qui dirige une entreprise dépendant du ministère de la Culture à la recherche d'investisseurs pour plusieurs de ces domaines.
Le problème, souligne-t-il, est que la restauration de ces domaines nécessite des dizaines de millions d'euros alors qu'il est impossible d'en tirer un quelconque profit.
"Le gouvernement devrait admettre qu'il n'est pas en mesure de sauver tout cet héritage et en remettre une partie au secteur privé, en utilisant les gains pour sauver ce qu'il peut", estime M. Soloviev.
Autre exemple de ces domaines en danger: celui de Grebnevo, à l'est de Moscou, autrefois l'un des plus célèbres de la région avec ses jardins à l'anglaise et à la française, sa cascade, son lac et ses bâtisses néoclassiques.
Il a changé de mains plusieurs fois au cours de l'Histoire, détenu un temps par des diplomates décorés et des commandants d'armée qui cultivaient des abricots dans l'orangerie et y organisaient des ballets.
Après la révolution, le domaine a été nationalisé et transformé en sanatorium.
Les historiens locaux qui avaient préservé l'héritage du domaine après la disparition des propriétaires d'origine ont été persécutés au tournant des années 1930 car leurs efforts pour sauvegarder la mémoire des lieux s'opposaient au dogme communiste.
'Crimes de Staline'
"Ce fut l'un des pires crimes de Staline", estime le professeur Boris Sokolov, historien de l'art à l'Université d'Etat des sciences humaines de Moscou.
Tout comme le domaine de la famille Netchaïeff, Grebnevo a été laissé à l'abandon pendant des années. Ses bâtisses à colonnades sont aujourd'hui privées de toit et recouvertes de graffitis.
Mis récemment aux enchères à 80 millions de roubles (1,2 million d'euros), le domaine n'a pas trouvé preneur, tout comme lors de la tentative précédente.
Redonner à Grebnevo l'éclat de sa gloire passée nécessiterait au moins dix millions d'euros, selon M. Soloviev. Mais malgré l'état de délabrement dans lequel se trouvent les bâtiments, le gouvernement ne peut légalement baisser le prix de la mise aux enchères, qui a été déterminé par un expert indépendant.
Le domaine a besoin d'être rénové d'urgence mais semble condamné à attendre indéfiniment de nouveaux propriétaires, au risque de tomber définitivement en poussière.
'Terrain vague'
Car il est peu probable, selon M. Soloviev, que des investisseurs s'intéressent à ce paysage pittoresque: il est en effet illégal de construire sur ce site, soumis à des règles de protection du patrimoine.
"Qui voudrait habiter sur un terrain vague pareil?", s'interroge le professeur Sokolov, dont le grand-père était jardinier à Grebnevo.
Boris Netchaïeff, lui, est malgré tout impatient de redonner vie à la résidence de ses ancêtres près d'Oriol.
Il espère pouvoir être autorisé à louer le terrain à long terme afin d'y développer un centre culturel français, aidé par l'ambassade de France à Moscou et les fonds d'un oligarque russe.
"Nous voulons nettoyer le parc et les allées, réparer la façade de la maison" et installer des résidences d'artistes, affirme-t-il, avec l'ambition de restaurer la mémoire de sa famille dans la région.
"Ma famille a été dépossédée de bien plus qu'un domaine. Ils ont perdu leur nation, leur pays."
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