Ce phénomène se caractérise par "le sentiment de ne pas être à sa place malgré les réussites objectives, les preuves d'intelligence et de compétences", cumulé à la conviction de "tromper les autres" et "la crainte au quotidien de pouvoir être +démasqué+", définit Kevin Chassangre, docteur en psychologie à l'Université de Toulouse Jean-Jaurès qui a consacré une thèse au sujet (2016).
Après le bac, Louise (prénom d'emprunt) a intégré Sciences Po Paris grâce "à un coup de pot énorme": le jury d'entrée lui a attribué une excellente note malgré une copie d'examen inachevée. Persuadée d'avoir "douillé le système", elle a espéré redoubler en licence, "comme s'il fallait avoir un échec pour (qu'elle) se légitime".
Six ans plus tard, Louise, admissible au barreau de Paris, minimise encore sa réussite.
Les "grandes phases de transition", quand l'individu doit endosser "un nouveau rôle" comme passer de lycéen à étudiant ou d'étudiant à employé, sont "propices au développement du sentiment d'imposture", indique Kevin Chassangre, précisant que la France ne dispose pas d'étude épidémiologique sur le sujet.
Ce sentiment d'imposture a été conceptualisé comme "phénomène de l'imposteur" à la fin des années 70 par deux psychologues américaines à l'Université d'État de Géorgie, Pauline Rose Clance et Suzanne Imes. D'abord identifié chez des femmes très qualifiées, d'âges variés, qui attribuaient à des causes externes (la chance, le réseau...) leurs succès, il s'est aussi révélé présent chez les hommes et dans divers milieux sociaux et professionnels.
Redonner confiance
Malgré la validation de son master de relations internationales et son expérience dans l'antiterrorisme qui lui ont permis d'obtenir un stage à l'ONU, Nathalie (prénom d'emprunt) "a l'impression d'être une fraude" et "vi(t) en permanence avec la peur de décevoir".
Et si "les gens découvrent que je n'ai pas ma place? Que ça me coûte beaucoup plus qu'eux d'apprendre?". Pendant ses études, chaque rendu de mémoire lui provoquait "une crise d'angoisse".
Bien qu'également connu du grand public comme "syndrome de l'imposteur", ce phénomène n'est "pas une maladie", précise Kevin Chassangre.
Toutefois, "en fonction de l'intensité et de la récurrence" des symptômes (peur de l'échec, culpabilité vis-à-vis du succès, procrastination ou travail frénétique...), il peut "entacher le bien-être de l'individu" qui est en proie à "l'anxiété" et peut tomber en "dépression".
Comme Lola (prénom d'emprunt), qui a "paniqué" lorsqu'on lui a confié son premier projet en autonomie. Obsédée par son "manque de jugeote", elle remet tout en cause, se convainc d'avoir validé "en passager clandestin" sa formation marketing. Même rédiger un courriel finit par la "terrifier". Mais Lola accomplit sa mission.
On lui propose une promotion. Loin de la rassurer, cette opportunité la persuade d'avoir "vraiment manipulé" ses collègues. Elle décline, meurtrie.
"Il faut apprendre à la personne à identifier de manière objective les causes de son succès", en "se définissant par rapport à ses ressources plus que par ses résultats", estime Kevin Chassangre.
"Mon directeur m'a un jour dit +Tu n'es pas une erreur de casting+", se souvient Nathalie, dont la jovialité ne laisse rien paraître de "son lourd secret". Cette simple phrase lui donne la force de tenir.
On peut "créer une conscience" sur ce phénomène de l'imposteur, estime de son côté Cornelia Woll, directrice des études et de la scolarité de Sciences Po Paris.
Le "Service Carrières" de son établissement dispense des "formations sur la présentation, la confiance en soi, la manière de nouer des relations professionnelles", mais Cornelia Woll "pense que l'on pourrait faire encore plus".
En juillet, lors de la cérémonie de remise de diplômes, elle a évoqué ce phénomène pour rappeler aux lauréats leur légitimité.
C'est la première fois que Noé, 24 ans, en entendait parler. Que des membres de la direction "verbalisent le sentiment" lui a redonné "confiance". Diplômé de deux masters, il ne se sent désormais plus "redevable" d'avoir réussi le concours d'entrée.
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