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Dans la Roumanie communiste, des églises cachées pour échapper à la démolition

Derrière des barres d'immeubles, des églises meurtries mais toujours debout. Dans la Roumanie des années 80, ces perles du patrimoine religieux n'ont échappé à la furie destructrice de l'ancien dictateur Ceausescu que par un extravagant tour de force: elles ont été déplacées et cachées.

Dans la Roumanie communiste, des églises cachées pour échapper à la démolition
L'église orthodoxe de Schitul maicilor, érgiée en 1726, prise en photo à Bucarest le 30 octobre 2017 - Daniel MIHAILESCU [AFP]

A l'origine de cet exploit se trouve un ingénieur, Eugeniu Iordachescu, à l'époque chef d'un institut qui se retrouva confronté aux caprices architecturaux de Nicolae Ceausescu et de son épouse Elena.

Impressionné par les travaux en cours à Pyongyang, la capitale nord-coréenne, le couple s'était mis en tête de raser le centre historique de Bucarest pour y faire construire un quartier gouvernemental dominé par une gigantesque "Maison du peuple".

Au début des années 80, les démolitions pour ouvrir la voie au futur "Boulevard de la Victoire du socialisme" avaient commencé lorsqu'"un jour, Ceausescu se renseigna sur la largeur de la chaussée Kiseleff", grand axe routier de Bucarest, raconte à l'AFP M. Iordachescu, 88 ans.

"Quelqu'un dit 50 m, un autre avança 70 m. Alors Ceausescu trancha: +Qu'on fasse ce boulevard-là de 90 m de large+. Cela a eu des implications majeures, il a fallu démolir 20 m de plus sur les côtés", explique-t-il.

Se rendant sur place pour évaluer l'impact des destructions envisagées, l'ingénieur fut charmé par une petite église orthodoxe, Schitul maicilor (le Couvent des bonnes soeurs), érigée en 1726, "un joyau qu'il fallait à tout prix sauver".

"Après des mois où je me suis cassé la tête, Dieu m'a éclairé", se réjouit-il. Inspiré par "le serveur qui porte des verres sur un plateau sans qu'aucune goutte ne tombe à côté", il imagina un "plateau en béton" construit sous le bâtiment pour pouvoir le déplacer.

Détaché de ses fondations, l'édifice s'est ainsi retrouvé posé sur des vérins puis transporté sur des rails à l'aide de crics hydrauliques ou de treuils jusqu'à son nouvel emplacement.

Cachez cette église...

Ceausescu donna son accord au déplacement de l'église, espérant secrètement que l'opération allait s'enliser.

"La vue d'une église dérangeait Ceausescu. Peu importe si elles devaient être démolies ou déplacées, l'important était de ne pas les voir", racontait en 2012 un ancien architecte-en-chef de la capitale, Alexandru Budisteanu.

Schitul maicilor fut la première église sauvée. En juin 1982, elle parcourut 245 m, à raison de 2,8 m par heure. Coincée derrière le massif siège du Service de renseignements (SRI, successeur de la redoutable Securitate), elle conserve à ce jour de belles peintures extérieures.

Neuf autres lieux de culte, dont sept à Bucarest, survécurent grâce à la méthode Iordachescu qui consista, après le déménagement, à occulter les édifices religieux par de nouveaux bâtiments communistes massifs.

Parmi eux, l'église Mihai-Voda, érigée en 1594 par le prince Michel le Brave, qui fit le "voyage" le plus long, soit 289 m.

C'est toutefois le transfert du Palais synodal, sous-sol compris, un bâtiment de 9.000 tonnes déplacé en 1985, dont M. Iordachescu se dit "le plus fier".

"Ce n'est pas à des fins de protection, mais bien au contraire pour leur faire perdre leur importance que les églises de Bucarest ont été déplacées", estime Lotte Laub dans une postface de l'ouvrage "Mobile Churches" (2017, Kehrer Verlag), que le photographe Anton Roland Laub a consacré au "traitement aussi extraordinaire qu'absurde" réservé à ces églises.

Un cinquième de Bucarest rasé

Vingt-deux lieux de culte tombèrent néanmoins sous les lames des bulldozers entre 1977 et 1987, victimes du projet de "systématisation" de Bucarest voulu par Ceausescu. Au total, un cinquième de la capitale fut rasé.

"L'Eglise orthodoxe a réussi à sauver ce qui pouvait l'être. Une attitude plus radicale, de conflit ouvert avec le régime communiste ne lui aurait pas apporté plus de bénéfices", dit à l'AFP le porte-parole du patriarcat, Vasile Banescu.

Architectes et constructeurs redoutaient les visites hebdomadaires de celui qui se faisait appeler le "Conducator" (conducteur): un simple revers de main de sa part condamnait à la démolition un immeuble ou une rue entière, selon plusieurs témoignages.

"Chaque fois qu'il voyait l'église Sfântul Ioan, qui dépassait de six mètres l'alignement du boulevard 1848, Ceausescu demandait: +Quand allez-vous la démolir?+", se souvient M. Iordachescu. Le bâtiment fut finalement tracté sur une vingtaine de mètres, se retrouvant occulté par les deux immeubles voisins.

Selon M. Banescu, l'attitude "paradoxale" de Ceausescu, qui prônait l'athéisme tout en acceptant de financer le déplacement d'églises, s'explique par son "origine paysanne, empreinte d'un certain respect envers le religieux", et par "les pressions de plusieurs intellectuels", qui ont appelé à arrêter les destructions.

Une campagne menée par des médias occidentaux visant à sauver le patrimoine roumain a également aidé, estime M. Iordachescu.

Interrogé sur le coût du sauvetage des églises, cet homme à la voix posée s'enflamme: "Un bâtiment érigé il y a 400 ou 500 ans n'a pas de prix".

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