Cette plainte avec constitution de partie civile a été déposée mercredi auprès du doyen des juges d'instruction du pôle financier du tribunal de Paris, a-t-on appris jeudi auprès de l'avocat de l'association anticorruption.
Elle vise à obtenir la désignation - quasi-automatique - d'un magistrat pour enquêter sur l'affaire du bien immobilier acquis par la compagne de Richard Ferrand et loué aux Mutuelles de Bretagne, dont il était alors le directeur général.
La plainte porte sur des faits présumés de "prise illégale d'intérêts", et recel et complicité de ce délit.
Le parquet de Brest avait annoncé le 13 octobre le classement de l'enquête, au regard notamment de la prescription de cette éventuelle infraction.
"Nous attendons l'ouverture d'une instruction, pour qu'il y ait un procès, car nous ne sommes pas d'accord avec l'analyse du procureur de la République de Brest", a déclaré à l'AFP Jean-Christophe Picard, président de l'association.
Après le classement sans suite, Anticor s'est tourné vers le pôle financier de Paris en raison de sa compétence nationale sur les affaires "d'une grande complexité".
Dans un des volets de l'affaire, un possible délit de prise illégale d'intérêts, le procureur de Brest Jean-Philippe Récappé reconnaissait que le parquet "aurait pu envisager l'ouverture d'une information judiciaire". Mais il s'est avéré que "l'infraction éventuelle" était "prescrite" depuis le 19 juin 2015, selon les règles de prescription (trois ans) alors en vigueur, avait-il expliqué.
'Savoir s'arrêter'
Richard Ferrand, soutien de la première heure d'Emmanuel Macron, s'est toujours défendu de tout conflit d'intérêts. Devenu chef du groupe La République en marche à l'Assemblée nationale après avoir dû quitter son poste de ministre de la Cohésion des territoires, il s'était félicité de la décision du parquet de Brest, estimant avoir été "lavé de tout soupçon".
Le président de l'Assemblée nationale François de Rugy (LREM) s'est demandé jeudi si Anticor "ne faisait pas perdre du temps à la justice" avec cette nouvelle plainte. "Il faut peut-être savoir s'arrêter, quand même", a-t-il réagi sur franceinfo.
Dans l'affaire en question, révélée par le Canard enchaîné le 24 mai dernier, Richard Ferrand, 55 ans, est soupçonné d'avoir profité de sa fonction pour favoriser sa compagne, l'avocate Sandrine Doucen, à l'époque où il était directeur général (1998-2012) des Mutuelles de Bretagne et élu local PS.
En 2011, cet organisme à but non lucratif, qui cherchait à louer des locaux pour installer un centre de soins à Brest, avait choisi la proposition d'une société civile immobilière (SCI) appartenant à 99% à Mme Doucen, parmi trois offres. Un bien acquis pour un prix de 375.000 euros, "financé" par les loyers versés par les Mutuelles de Bretagne, selon la plainte d'Anticor dont a eu connaissance l'AFP.
"Après analyse du dossier d'enquête préliminaire", il apparaît pour Anticor "que l'infraction de prise illégale d'intérêts est caractérisée, que M. Ferrand y aurait participé à la fois en qualité de directeur général des Mutuelles de Bretagne et comme bénéficiaire indirect de l'acquisition des biens immobiliers pour le compte de sa compagne", a déclaré à l'AFP l'avocat de l'association Jérôme Karsenti. Il a souligné le rôle "omniprésent" de l'ex-ministre dans l'opération.
Pour Anticor, les Mutuelles de Bretagne remplissent une mission de service public - ce qui n'était pas certain pour le parquet - et la prescription a commencé à courir seulement à compter des révélations du Canard enchaîné le 24 mai.
Selon la plainte de l'association, M. Ferrand a "volontairement dissimulé l'infraction" aux yeux du commissaire aux comptes et de six des neuf administrateurs et notamment de l'ancien président, qui n'auraient pas été informés que la future propriétaire du bien était sa compagne.
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