"A Damas, j'avais plusieurs magasins et tout allait pour le mieux, mais un an après le déclenchement de la guerre, j'ai tout quitté", confie ce père de trois enfants qui ne se sentait plus en sécurité dans son pays.
Il pose ses valises en Jordanie pour "tout recommencer à zéro". Il loue un local à Irbid, au nord d'Amman, où il installe son atelier et sa boutique. "Je travaillais nuit et jour sans arrêt". Les efforts de Mazen finissent par payer: ses douceurs attirent de plus en plus de gourmands.
"J'ai alors décidé d'ouvrir un deuxième, puis un troisième, un quatrième et un cinquième magasin", raconte Mazen Obeido, fier de perpétuer un métier transmis de père en fils.
Galettes au sésame, baklavas, gâteaux à la semoule parsemés de pistaches ou glace traditionnelle à la crème de lait... le pâtissier propose les mêmes douceurs qui trônaient autrefois sur de grands plateaux dans ses magasins en Syrie.
Là-bas, "les Jordaniens venaient par dizaines dans mes magasins. Les week-end, ils achetaient 90% de ma production, des pâtisseries de grande qualité et vendues moins chères qu'en Jordanie", se souvient cet homme replet à la barde noire.
Made in Syria
Quelque 200.000 réfugiés syriens ont trouvé refuge à Irbid située à 89 km au nord d'Amman. Le royaume hachémite, voisin de la Syrie, accueille plus de 650.000 réfugiés syriens selon le Haut-Commissariat de l'ONU pour les réfugiés. Les autorités jordaniennes disent elles en accueillir 1,3 million.
La Syrie, avant de basculer dans la guerre il y a plus de six ans, était un paradis pour les gourmands avec ses barazeks, petits biscuits saupoudrés d'éclats de pistache et de graines de sésame, ses mabroumas, gâteaux à base de vermicelles et farcis généralement de pistaches, ainsi que ses douceurs fourrées au fromage.
Malgré l'exil, Mazen tient à préserver cette touche syrienne. Dans ses boutiques et son usine, la majorité de la centaine d'employés sont syriens, et même les outils sont "fabriqués en Syrie".
"Pour confectionner des douceurs damascènes de haute qualité il nous fallait des outils spéciaux. Les faire venir en Jordanie par avion nous a coûté cher mais le résultat est incroyable", dévoile le maître pâtissier.
Certains de ses disciples, auxquels il a enseigné les secrets du métier, ont même fait recette hors de la Jordanie en ouvrant notamment leur propre boutique en Turquie, en France, en Allemagne et même aux Etats-Unis.
Odeurs du pays
Reprenant à son compte le proverbe +mieux vaut apprendre à quelqu'un comment pêcher que de lui donner un poisson+, Mazen Obeido forme gratuitement ses compatriotes, dont des centaines de milliers ont fui la guerre.
"Je veux leur apprendre le métier pour qu'ils vivent dans la dignité, je veux qu'ils apprennent eux mêmes à pêcher le poisson", répète-t-il.
Le chef pâtissier a lancé avec l'aide de l'Organisation internationale du Travail (OIT) des sessions de formation gratuite au profit des plus vulnérables, comme les veuves ou les jeunes femmes isolées.
"Je prends du plaisir à faire des gâteaux, les odeurs ici me rappellent constamment mon pays", se réjouit Haïfa Al-Ali, 22 ans, originaire d'Alep, ancienne capitale économique de Syrie connue pour ses pistaches. Diplômée d'une école d'infirmières, elle a bénéficié d'une formation de trois mois avant d'intégrer l'un des ateliers de M. Obeido.
Même si ces pâtisseries rappellent le pays natal, "elles ont meilleur goût quand tu es chez toi, en Syrie, au milieu de ta famille et de tes amis", lâche Arwa Naboulsi, une enseignante syrienne mère de trois enfants, résumant la frustration de centaines de milliers de ses compatriotes contraints à l'exil.
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