A 32 ans, Laura Levêque a "récupéré [son] corps et transformé l'horreur en beau".
"J'ai mariné dans le sang. Recouverte de chair. J'ai été imprégnée des victimes". Elle qui se sent parfois "dans les limbes" arbore un énorme corbeau sur l'épaule, une éclipse, un serpent qui se mord "pour le cycle de la vie et de la mort", et "des fleurs qui poussent sur les champs de combat".
Trois mois à peine après la tuerie dont elle a réchappé, Nahomy Beuchet, 19 ans, a elle fait dessiner le Bataclan à l'intérieur de son bras, la date du 13/11/15 et "peace, love et death metal" (titre d'un album du groupe qui jouait au Bataclan, les Eagles of Death Metal).
"Il est mon pansement, ma force, ma piqûre de rappel", résume quant à elle Manon Hautecoeur en évoquant le lion et la devise de Paris "Fluctuat nec mergitur" gravés à l'intérieur de son bras.
"Quand on a été blessé +que+ psychologiquement, on a l'impression de ne pas être une victime parce qu'on ne porte pas sur nous les traces de notre présence ce soir-là. C'est ma cicatrice", explique la jeune femme qui se trouvait près du restaurant Le petit Cambdoge.
Un sentiment partagé par David Fritz Goeppinger, 25 ans, ex-otage du Bataclan sur le bras duquel on lit en chiffres romains la date du 13 novembre : "Je n'avais pas de blessure, il fallait quelque chose".
'Marquer une cicatrice intérieure'
"C'est ancré et encré": Alexandra, blessée au bar le Carillon, a insisté, après s'être fait extraire une balle du coude, pour tatouer "près de sa cicatrice" "Fluctuat nec mergitur" .
Ces mêmes mots ornent depuis juillet le bras de Ruben qui a passé six mois à l'hôpital: "Je voulais que ce soit identifiable, sans que ce soit un panneau +j'étais au Bataclan+".
"Le tatouage est une manière de faire peau neuve, une métamorphose", rappelle David le Breton, sociologue du tatouage. Il permet de "se réappropier la tragédie, de rester fidèle aux personnes disparues, à l'émotion du moment, d'avoir traversé la mort en restant indemne".
Parfois, "pour marquer une cicatrice intérieure".
Un phénix a vu le jour sur le bras de Stéphanie Zarev, 44 ans, là où elle a été effleurée par un éclat de balle. Un "besoin de marquer dans la chair" que "malgré l'horreur de ce soir-là, il y a encore des belles choses à vivre".
Sophie a, elle, pris deux balles dans la jambe. Sa cuisse est recouverte d'une immense "katrina" (femmes maquillées avec une tête de mort, dans la tradition mexicaine); elle a aussi fait tatouer un tournesol sur son pied immobilisé. "Je ne voulais pas sublimer ma cicatrice, j'ai illuminé ma jambe", sourit la jeune femme de 33 ans.
Maureen, qui a lancé avec l'association Life for Paris un projet de livre-photo sur le sujet a mis du temps à trouver les mots avant de se lancer. Sur son corps sont récemment apparus les mots "SURvivre: REnaître, croître et mourir PLUS TARD".
Inscrire le deuil
Floriane Beaulieu, 28 ans n'oubliera jamais la chance qu'elle a de s'en "être sortie": elle a opté pour "un trèfle à quatre feuilles, une colombe et le mot espoir inclus dans un signe de l'infini".
"C'était vendredi 13, on était 13 dans la fosse, on est ressortis vivants. J'avais déjà le contour d'un trèfle tatoué derrière l'oreille, j'ai fait inscrire un +13+ au milieu et un +fuck+ en dessous. A l'intérieur de mon oreille, j'ai mis une note de musique", explique Ludmila Profit, 24 ans. "Fuck pour le côté rock'n roll, fuck les terroristes".
A l'endroit où Louise Roze, 31 ans, a eu de nombreux hématomes, il y a un "ange rouillé, une fille décharnée avec une aile dans le dos. Elle essaye de se relever sur les gravats de la vie".
"C'est moi cette fille", lâche-t-elle. "Je me sens vachement plus forte avec".
Il y a aussi ceux qui portent sur eux le deuil de ceux qui sont partis, comme Florence Ancellin dont la fille de 24 ans, Caroline, a été tuée au Bataclan. Sur sa cheville, elle a tracé une carotte, son surnom.
Les trois fils de 15 à 29 ans Maryline Le Guen étaient au concert du Bataclan. Son aîné, Renaud, n'a pas survécu. Un mois après sa mort, sans mot dire, la maman a inscrit une arabesque avec son nom "pour l'avoir avec moi tout le temps".
Quant à Fanny Proville qui a perdu son compagnon au Bataclan, elle a dans son dos "Sometimes you need to let things go" pour "matérialiser" : "Je sais que c'est là. Comme Olivier, je sais qu'il est là, même s'il ne l'est plus".
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