Dans un climat politique délétère, marqué par de nombreuses manifestations de l'opposition implacablement réprimées par la police, la Commission électorale (IEBC) assure être prête d'un point de vue technique et logistique, après avoir été accablée par la Cour suprême pour sa gestion du scrutin invalidé.
Mais son président Wafula Chebukati, de plus en plus isolé au sein de la commission, a publiquement émis des doutes sur sa capacité à garantir la crédibilité du scrutin.
Parallèlement, les appels se multiplient en faveur d'un report de l'élection au-delà de la date limite du 31 octobre, prévue par la Constitution. Mardi, la Cour suprême a convoqué en urgence une audience mercredi matin, après avoir été saisie par trois militants des droits de l'homme qui souhaitent un report pouvant aller jusqu'à 90 jours.
Cette période d'incertitude et de tension, qui affecte durement l'économie la plus dynamique d'Afrique de l'Est, avait paradoxalement débuté par une décision historique de cette même Cour suprême, le 1er septembre. Saisie par l'opposition, elle évoque alors des irrégularités dans la transmission des résultats et invalide contre toute attente la présidentielle du 8 août, une première en Afrique.
Le jugement est salué comme une opportunité pour les politiciens kényans de renforcer la démocratie, mais ces derniers n'auront finalement redoublé d'efforts que dans leurs invectives, faisant sonner bien creux leurs appels à la paix.
Au moins 40 morts
L'IEBC a depuis entrepris certaines réformes, mais l'opposition estime que l'institution est toujours partiale et majoritairement acquise au parti au pouvoir. Dans ces conditions, l'opposant Raila Odinga, 72 ans, a annoncé le 10 octobre son retrait de l'élection, sans pour autant le formaliser.
L'opposition a depuis envoyé des messages contradictoires sur la marche à suivre le jour du scrutin, qu'elle a promis de communiquer en temps utile à ses partisans.
En attendant, elle a organisé de nouvelles manifestations mardi, malgré une interdiction du ministre de l'Intérieur.
A Kisumu, un des bastions de M. Odinga, quelque 2.000 manifestants ont défilé dans le centre-ville avant que n'éclatent des échauffourées avec la police dans le principal bidonville de la cité. A Nairobi, quelques centaines de personnes ont été dispersées au gaz lacrymogène.
Au moins 40 personnes ont été tuées depuis le 8 août, la plupart dans la répression brutale des manifestations par la police dans des bastions de l'opposition, selon les organisations de défense des droits de l'homme.
Après s'en être pris verbalement aux juges de la Cour suprême, qualifiés d'"escrocs", Uhuru Kenyatta, 55 ans, n'a lui cessé de répéter que le scrutin devait avoir lieu le 26.
Son gouvernement a également entrepris d'amender la loi électorale dans l'urgence, officiellement pour corriger les erreurs évoquées par la Cour suprême. Mais l'opposition estime que les amendements offrent de nombreuses possibilités pour truquer l'élection.
Le texte, adopté par le parlement, n'a pas encore été signé par le président Kenyatta, enjoint par la communauté internationale de s'en abstenir.
'Avide de pouvoir'
Mardi, le quotidien Daily Nation a une nouvelle fois appelé les responsables politiques "à la raison". "Le Kenya est un acteur crucial du commerce régional et un membre respecté de la communauté des nations, et cela ne doit pas être souillé par des politiciens avides de pouvoir", a prié le journal dans son éditorial.
Lundi, vingt ambassadeurs occidentaux avaient eux parlé d'une voix pour dénoncer la "détérioration de l'environnement politique" kényan.
Car dans un pays où le vote se joue plus sur des sentiments d'appartenance ethnique et géographique que sur des programmes, cette crise politique a une nouvelle fois mis en lumière les profondes divisions sociales, géographiques et ethniques qui traversent le Kenya et ses quelque 48 millions d'habitants.
M. Odinga, déjà trois fois candidat malheureux à la présidence (1997, 2007, 2013), plaide pour l'organisation d'un tout nouveau processus électoral. Selon lui, l'élection de jeudi se résumera à un "sondage d'opinion" au sein du parti au pouvoir.
Le centre d'analyse International Crisis Group (ICG) estime lui qu'un report "aiderait à éviter une crise au Kenya", dix ans après les pires violences post-électorales de l'histoire du pays (1.100 morts). "Les institutions et les dirigeants politiques devraient envisager un court report, et de son côté, Odinga devrait s'engager à participer", dit-il.
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