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Jungle de Calais: un an après le démantèlement, une normalisation inachevée

Fin octobre 2016, l'Etat transférait en quelques jours 7.400 migrants de la "Jungle" de Calais vers des centres d'accueil en régions. Un an plus tard pourtant, des centaines d'exilés vivent dans la précarité sur ce territoire, sur fond de fermeté des pouvoirs publics en matière migratoire.

Jungle de Calais: un an après le démantèlement, une normalisation inachevée
Opération d'évacuation de la Jungle de Calais, le 24 octobre 2017 - PHILIPPE HUGUEN [AFP/Archives]

"Prendre un ticket pour la douche à 09H15": l'écriteau en anglais est toujours fixé au portail de l'ancien centre d'accueil Jules Ferry. Sur un mur, un tag "Jangil" évoque le bidonville, disparu voici un an. A une centaine de mètres, les pelleteuses s'activent pour la reconversion écologique du site, où nichent désormais des hirondelles protégées.

Tôt le matin du 24 octobre 2016, une file de centaines de Soudanais, d'Afghans et d'Erythréens, valises aux pieds, attendait devant les portes d'un hangar transformé en gare routière pour l'évacuation. Le début d'une incessante procession, trois jours durant. Non pas vers l'Angleterre, comme certains en rêvaient, mais vers des centres d'accueil et d'orientation (CAO) plus vivables que la boue qui faisait le quotidien de la "Jungle", formée un an et demi plus tôt.

Sans cacher leur émotion, les humanitaires avaient fait leurs adieux aux migrants montant dans les cars et ainsi, à la coexistence entre communautés diverses.

"Pour les 7.400 personnes parties en CAO" (5.450 majeurs, plus 1.900 mineurs dirigés vers des centres spécialisés), l'évacuation "s'est très bien passée, ces gens étaient impatients d'être accueillis en France ailleurs qu'ici", se souvient Christian Salomé, président de l'Auberge des migrants.

Un an après, 42% des migrants ayant demandé l'asile l'ont obtenu, 7% ont été déboutés et 46% attendent toujours une décision définitive, le reste étant dans des projets autres que l'asile, selon l'Ofii (Office français d'immigration et d'intégration). Chez les mineurs, seuls 515 ont pu gagner la Grande-Bretagne.

'Table rase'

L'Etat met aussi en avant le bilan sécuritaire. Le préfet Fabien Sudry souligne que "la pression migratoire a nettement diminué: il y a aujourd'hui environ 500 migrants (6 à 700 selon les associations, NDLR) alors qu'ils étaient 8.000 il y a un an".

En outre, "il n'y a plus ni squat, ni camp, plus d'intrusion à Eurotunnel", les tentatives de monter dans des camions "ont été divisées par 3,5 sur la rocade", où seuls 27 barrages nocturnes ont été dressés en 2017.

"Je persiste à penser qu'il fallait démanteler la +Jungle+, et ça a été une réussite, un modèle de collaboration entre Etat et associations", abonde Stéphane Duval, qui dirigeait le centre Jules Ferry pour l'association La Vie active, partenaire de l'Etat.

Pour autant, "il y a quelque chose d'inachevé car le démantèlement a sonné le glas des hébergements d'urgence" dans le Calaisis, dit-il, regrettant que Bernard Cazeneuve, alors ministre de l'Intérieur, n'ait pas respecté sa promesse de rouvrir un centre à Calais.

C'est bien ce que paient aujourd'hui les migrants, de l'avis d'une dizaine d'associations, dépeignant "une situation humanitaire particulièrement catastrophique". Depuis novembre 2016, épaulées en juin par un rapport du Défenseur des droits, elles ont pointé du doigt la pression de policiers déployés en grand nombre, empêchant ces étrangers de dormir, confisquant leurs affaires et les aspergeant de gaz lacrymogène.

"Le démantèlement a surtout consisté à faire table rase de tous les dispositifs existants et à mettre en place une politique du tout-sécuritaire", dénonce Vincent De Coninck, du Secours catholique.

Précarité sanitaire

Sans compter la précarité sanitaire, devant les résistances de l'Etat pour installer points d'eau et douches, par crainte d'un nouveau "point de fixation" à Calais.

L'ONU a jugé "préoccupant qu'environ 700 migrants à Calais et ses environs comptent temporairement sur 10 toilettes portatives et 10 robinets seulement".

Une situation qui s'inscrit dans un tour de vis plus large. La Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH) vient de dénoncer les "réticences" de l'Etat à appliquer la loi à Calais, le "harcèlement" des forces de l'ordre et les "violences" envers les migrants, obligés de bouger en permanence, "notamment à Paris, à Calais ou dans la vallée de la Roya". Au risque selon elle de contribuer à "nourrir un sentiment de xénophobie".

A la frontière franco-italienne, cinq ONG dont Amnesty, MSF et le Secours catholique viennent de dénoncer des atteintes "inadmissibles" aux droits des migrants qui se voient refoulés et donc ne peuvent solliciter l'asile.

C'est que l'Etat fait une nette distinction entre ces migrants "économiques" et les réfugiés ayant obtenu l'asile. Pour ces derniers, "je souhaite que nous accueillions de manière exigeante et conforme à nos valeurs", a affirmé mercredi Emmanuel Macron, mais "que nous reconduisions de manière intraitable celles et ceux qui n'ont pas de titre".

Face à une opinion publique souvent vue comme frileuse, à une Europe prêchant la plus grande fermeté, "la position de l'Etat a quelque chose de cohérent sur un plan politique", estime Stéphane Duval. Mais "elle ne l'est pas sur le plan humain car il y a des gens à la rue qu'il faut aider".

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