"Le cinéma et la télévision sont très vulnérables parce qu'il y a beaucoup de gens dont le but ultime est d'entrer dans ce secteur et le succès y dépend largement de qui vous connaissez, de votre apparence, de choses qui ne dépendent pas strictement de votre mérite", remarque Ann Fromholz, avocate spécialisée dans le harcèlement.
Souvent "les gens ont rêvé toute leur vie d'y travailler" et pensent que supporter certains comportements abusifs "est le prix à payer", ajoute-t-elle, interrogée par l'AFP.
Le scandale autour du producteur déchu Harvey Weinstein illustre à quel point ces abus ont pu être poussés à l'extrême: l'ancien titan d'Hollywood devenu paria est accusé par une quarantaine d'actrices et employées de harcèlement, agressions ou viols, notamment par Rose McGowan et Asia Argento.
Quelques mois plus tôt, c'est la chaîne Fox News qui s'était retrouvée dans la tourmente avec son patron, Roger Ailes, et son présentateur vedette, Bill O'Reilly, tous deux limogés à la suite d'accusations en chaîne.
Ann Fromholz remarque toutefois avoir entendu "des récits terrifiants" venant de secteurs qui font moins rêver, comme la restauration, l'agriculture, le nettoyage, "où une large part des employés sont sans papiers" et vulnérables.
Des hommes puissants sans garde-fous
Entre avocats, "on fait aussi de l'humour noir en disant que les lieux de travail avec des lits, comme l'hôtellerie ou les hôpitaux, c'est vraiment une mauvaise idée", poursuit Ann Fromholz.
Les milieux où règnent des hommes puissants sans garde-fous, comme certaines stars du barreau ou de la Silicon Valley, sont également problématiques.
Une ex-ingénieure d'Uber a ainsi dévoilé en février avoir été victime de harcèlement, ce qui a mené à la démission ultra-médiatisée du patron de l'application de voiturage Travis Kalanick, et, fin juin c'est un dirigeant du fonds Binary Capital qui a été poussé au départ, accusé par six entrepreneures de leur avoir fait des avances alors qu'elles cherchaient à lever des fonds.
Pour signaler que la politique, secteur encore dominé par des hommes, n'échappe pas à ce problème aux allures de fléau, plus de 140 femmes politiques, lobbyistes ou consultantes viennent de signer une lettre ouverte en Californie.
"Assez. (...) Chacune d'entre nous a enduré, assisté à ou travaillé avec des femmes qui ont subi une forme de comportement déshumanisant de la part d'hommes puissants au travail", dénoncent-elles.
Une enquête de 2015 du magazine Cosmopolitan portant sur plus de 2.200 sondées constatait qu'une femme sur trois avait déjà fait l'objet d'une forme de harcèlement sexuel au travail, à savoir "des avances, des demandes de faveurs, ou d'autres agissements verbaux ou physiques de nature sexuelle non souhaités". Les trois quarts ne font pas l'objet de plainte ou ne sont pas rapportés.
Les multiples scandales et les nombreuses voix qui s'élèvent depuis quelques mois augurent cependant peut-être d'une nouvelle ère et d'une génération moins résignée face à ces pratiques.
"Il y a aujourd'hui une plus grande conscience de quelle conduite est acceptable ou pas", et une plus grande volonté des entreprise d'empêcher les dérapages, constate Ann Fromholz, qui suit ces affaires depuis près de 25 ans.
La culture d'entreprise est déterminante
Les cas types sont le chantage sexuel (appelé quid pro quo aux États-Unis) --faveur sexuelle contre emploi ou promotion-- ou l'environnement de travail hostile à cause d'innombrables remarques ou plaisanteries qui minent les conditions de travail.
Les experts soulignent que la culture d'entreprise est déterminante pour empêcher les abus, avec la mise en place de règlements et l'application de sanctions qui découragent ces comportements.
À l'inverse, dans la Weinstein Company, le contrat du producteur Harvey Weinstein, comme l'a confirmé à l'AFP une source proche de l'entreprise, ne prévoyait ni mise à pied, ni licenciement, mais une simple obligation de rembourser les accords amiables passés avec celles qui auraient dénoncé ses méfaits.
L'équivalent d'un véritable feu vert, estime Genie Harrison, avocate spécialiste, et un choix délibéré de "regarder de l'autre côté et de favoriser le tiroir-caisse".
Tomber sincèrement amoureux sur le lieu de travail, cela dit, a toujours existé. La clef reste le consentement.
"Quand quelqu'un réfléchit à la possibilité d'une relation amoureuse avec quelqu'un avec qui il ou elle travaille, il faut se montrer plus prudent qu'avec quelqu'un rencontré dans un dîner par exemple. Ça peut passer par une conversation un peu maladroite, mais il faut s'assurer que les avances sont bienvenues", insiste Mme Fromholz. Et rassurer la personne en face qu'il n'y aura pas de conséquences en cas de refus.
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