La plus grave crise politique en Espagne depuis que le pays est redevenu démocratique en 1977 pourrait donc déboucher sur une reprise en main par le gouvernement central d'une de ses plus riches régions, où vivent 16% des Espagnols, pour éviter une déclaration d'indépendance risquant de déstabiliser l'Europe.
Le président séparatiste de Catalogne Carles Puigdemont a jusqu'à jeudi 10h00 (8h00 GMT) pour écarter ouvertement une déclaration unilatérale d'indépendance.
A défaut, "M. Puigdemont provoquera l'application de l'article 155 de la Constitution" qui permet de suspendre l'autonomie, a prévenu la numéro deux du gouvernement espagnol, Soraya Saenz de Santamaria.
Et bien que la Catalogne soit divisée presque à parts égales sur l'indépendance, Carles Puigdemont estime que les Catalans ont conféré au parlement régional le "mandat" de déclarer l'indépendance, après avoir voté à 90% (et 43% de participation) en faveur de la sécession lors d'un référendum le 1er octobre.
Ce scrutin interdit et émaillé de violences policières avait été boycotté par l'opposition.
Mais dans le camp séparatiste, certains se sentent déjà partis, comme Abril Marcos, une étudiante en mathématiques de 19 ans rencontrée devant sa fac à Barcelone, qui a voté "oui". "Les premières années ce sera difficile", admet-elle. Comme pour le Brexit, "on a ça en commun d'être dans un processus de séparation, un processus difficile".
Si Carles Puigdemont ne veut pas reculer ouvertement, la seule alternative pour éviter une suspension de l'autonomie serait qu'il convoque des élections régionales anticipées en Catalogne, pour faire table rase et permettre aux électeurs de s'exprimer.
Mais cette option a été écartée mercredi à la mi-journée par le responsable des relations internationales du gouvernement catalan, Raul Romeva.
Impossible dialogue
Le président indépendantiste est pressé de toutes parts de temporiser, y compris par les milieux d'affaires qui constatent avec panique la fuite de centaines d'entreprises.
Il a donc proposé dans une lettre adressée lundi au chef du gouvernement espagnol Mariano Rajoy de se laisser deux mois pour "dialoguer".
Mais M. Rajoy exige que son adversaire renonce au préalable à toute intention de déclarer l'indépendance.
Le FC Barcelone, porte-drapeau de l'identité catalane, a lui prévu de déployer mercredi soir au Camp Nou une grande banderole réclamant un dialogue.
La tension entre Madrid et les séparatistes s'est encore accrue depuis lundi soir, après l'incarcération de deux figures de l'indépendantisme, Jordi Sanchez et Jordi Cuixart, qui a entraîné d'importantes manifestations dans toute la Catalogne en réaction à l'incarcération.
Ils sont poursuivis pour sédition, après avoir encouragé fin septembre des manifestants à bloquer la sortie d'un bâtiment où des gardes civils menaient des perquisitions, les empêchant de sortir pendant plusieurs heures.
Pour les indépendantistes, ils ne faisaient que manifester pacifiquement et sont des "prisonniers politiques".
Une semaine
Jusque-là, le gouvernement avait laissé entendre que la suspension de l'autonomie n'était pas la seule option sur la table, envisageant d'autres scénarios, notamment parce que sa mise en oeuvre est complexe.
L'article 155, qui doit être déclenché par le Sénat, permettrait au gouvernement de reprendre tout ou partie des compétences de la Catalogne.
L'Espagne est un pays extrêmement décentralisé comptant 17 régions aux pouvoirs très étendus, en matière de santé et d'éducation notamment. La Catalogne, qui tient à ses compétences, sa langue et sa culture dispose ainsi d'une police régionale, les Mossos d'Esquadra.
Une mesure similaire de suspension d'autonomie avait été appliquée en 1934 après la proclamation d'un "Etat catalan de la république fédérale espagnole". Celle-ci avait été suspendue par le dictateur Francisco Franco (1939-1975).
Une telle décision risque donc de provoquer une vive agitation en Catalogne, d'autant plus que c'est justement autour du débat sur les compétences de la région, meurtrie par l'annulation partielle en 2010 par la justice d'un statut lui conférant de très larges pouvoirs, que s'est nouée la crise actuelle.
Un sénateur du parti de M. Rajoy a expliqué mercredi à l'AFP sous couvert d'anonymat que cela devrait prendre environ une semaine, après présentation au Sénat des mesures que le gouvernement souhaite déclencher.
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