Une heure plus tôt à peine, un vélo-taxi bariolé émergeait de la foule du camp de Kutupalong. Dans la nacelle, Hasina Aktar tenait son ventre à deux mains. Cette réfugiée rohingya de 20 ans était sur le point de donner naissance.
Les femmes enceintes ou allaitantes constituent 10% du demi-million de musulmans rohingyas réfugiés au Bangladesh depuis fin août pour fuir les violences en Birmanie, où ils sont victimes d'un nettoyage ethnique selon les Nations unies.
Piégés au coeur de l'une des plus graves crises humanitaires de ce début de XXIème siècle, ces femmes et leurs nouveaux-nés sont particulièrement vulnérables dans ces camps de fortune insalubres et grands comme des villes.
Gémissante, Hasina est transportée à l'intérieur d'une maternité rudimentaire, une simple tente tout juste dressée par l'armée bangladaise.
L'absence de courant d'air transforme l'endroit en un véritable four. Un lino a été étalé sur le sol de terre battue. Tendue sur une corde au milieu, une bâche de plastique bleu découpe l'espace en deux parties.
Au fond, un unique sommier, rustique, sur lequel Hasina est transportée. Dans la douleur des contractions, ses doigts agrippent la toile de la tente. La sueur ruisselle sur sa peau.
Fatima, sa belle-mère, est la seule membre de la famille présente. Elle a 40 ans mais en fait vingt de plus. Elle s'accroupit aux côtés d'Hasina et passe une main affectueuse dans ses cheveux pour l'apaiser.
Une sage-femme employée par une ONG locale lui immobilise les pieds, une autre l'évente avec des feuilles de papier.
Quelques minutes plus tard, de l'autre côté de la bâche, montent des pleurs de bébé. C'est un garçon.
Un soldat pénètre dans la tente. Il se tourne en direction de la Mecque et, les mains placées de part et d'autre du crâne, lance un puissant appel à la prière.
"Dans la culture musulmane, il est très important que le premier mot qu'entende un nouveau-né soit le nom de Dieu", explique ce militaire, Abdul Khalek, à l'AFP.
Mortes en couche
Dans cette maternité improvisée, pas de pèse-bébé: la médecin monte avec le nourrisson sur la balance, puis sans lui. Il fait deux kilos deux, c'est peu. Il s'appellera Mohammed Jubayed.
Selon le Haut commissariat aux réfugiés de l'ONU, près d'un réfugié sur cinq arrivant au Bangladesh est en état de "malnutrition grave", un problème d'autant plus inquiétant pour les femmes enceintes.
Un sourire éclaire le visage de Fatima. Dans la joie de l'événement, la nouvelle grand-mère essaye de ne pas trop se préoccuper de la façon dont sa belle-fille va pouvoir élever son enfant et se remettre de son accouchement, dans ce qui est un des plus grands camps de réfugiés de la planète.
"C'est difficile mais on touche un peu d'aide humanitaire. On devrait pouvoir survivre", dit-elle, alors que vient d'être lancée une campagne gigantesque de vaccination contre le choléra, l'Organisation mondiale de la santé craignant une épidémie.
Hasina, déjà mère d'une fille de trois ans, a de la chance - une chance toute relative. Sur ces collines saturées de tentes et d'abris, nombre de femmes rohingyas doivent accoucher à domicile, sans aide.
"Certaines femmes peuvent perdre beaucoup de sang", s'inquiète l'aide-soignante Piew Das. Dans ces circonstances, plusieurs d'entre elles sont mortes en couches, explique-t-elle.
Hasina est faible. Elle est autorisée à passer la nuit dans la tente de l'armée.
Mais dès le lendemain, la femme et l'enfant repartiront, sans désinfectant pour nettoyer le cordon ombilical ou serviettes hygiéniques. Ils rejoindront leur cabanon, pour disparaître dans le ventre de Kutupalong.
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