Le soir du 6 avril 1994, l'avion du président Juvénal Habyarimana, un Hutu, avait été abattu en phase d'atterrissage à Kigali par au moins un missile. Cet attentat non élucidé est considéré comme l'épisode déclencheur du génocide qui fit 800.000 morts selon l'ONU, essentiellement parmi la minorité tutsi.
Depuis, deux thèses s'affrontent dans cette enquête, ouverte en 1998 à Paris après la plainte des familles de l'équipage, en partie français.
La première accuse un commando des rebelles du Front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagame, l'actuel président, de s'être introduit derrière le dispositif des Forces armées rwandaises (FAR) afin d'abattre l'avion depuis la colline de Massaka, qui domine l'aéroport.
Elle a conduit le premier juge chargé du dossier, Jean-Louis Bruguière, à émettre en 2006 neuf mandats d'arrêt contre des membres du clan Kagame, provoquant la rupture des relations diplomatiques avec Paris jusqu'en 2009.
A l'inverse, une commission d'enquête rwandaise accuse les extrémistes "Hutu Power" des FAR, qui auraient voulu se débarrasser d'un président jugé trop modéré. Une théorie renforcée par un rapport de 2012 d'experts en balistique qui s'étaient rendus sur place avec les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux. Dans leurs conclusions, présentées par les juges, ils ont désigné le camp de Kanombe, alors aux mains de la garde présidentielle d'Habyarimana, comme zone de tir probable.
- Un autre témoin porté disparu -
Le nouveau témoin a été entendu deux fois en mars par le juge Jean-Marc Herbaut, qui a repris l'enquête. Dans ses auditions, dont l'AFP a eu connaissance, il affirme avoir fait partie de la section chargée de surveiller deux missiles SA-16 au quartier général du FPR, à Mulindi.
Début mars 1994, lui et ses camarades les auraient chargés en présence de James Kabarebe, une figure de la rébellion devenue depuis ministre de la Défense, dans un camion parti pour Kigali. Mais le témoin, lui, était resté au QG.
"En juillet 1994, les deux tireurs de missiles, Franck Nziza et Eric Hakizimana, sont revenus dans leur unité. Ils nous ont alors raconté (...) qu'ils ont tiré depuis un endroit nommé +Massaka+ et plus précisément encore depuis un pont où ils avaient vue sur l'aéroport", rapporte cet homme de 41 ans d'origine tutsi.
Il cite également des propos de James Kabarebe, dont il fut membre de la garde personnelle, se félicitant de la réussite de la "mission" le 6 avril au soir.
Le juge a donc ordonné la tenue d'une confrontation mi-décembre à Paris avec James Kabarebe et Franck Nziza.
Joint par l'AFP, un des avocats des deux hommes, Me Léon-Lef Forster, qui réclame un non-lieu depuis 2010, s'est refusé à tout commentaire et a dénoncé "une manipulation médiatique".
Les deux hommes font partie des sept proches de Kagame tour à tour inculpés dans ce dossier depuis 2008. Aucun n'a été réentendu par les juges depuis.
Pour justifier son témoignage tardif, l'homme affirme s'être caché en Ouganda en 2008 après avoir reçu la mission d'éliminer un camarade de la section chargée des missiles au QG du FPR : "J'ai pensé à ce qui allait m'arriver moi-même par la suite compte tenu de ce que je savais".
L'enquête, close une première fois en juillet 2014, avait été rouverte rapidement pour entendre un autre membre de cette section, Emmanuel Gafirita. Mais il a disparu dans un kidnapping au Kenya en novembre 2014, avant d'avoir pu être auditionné.
L'affaire a ensuite été relancée à l'automne 2016 afin d'entendre un ancien général entré en dissidence qui accuse aussi le président Kagame, ravivant les tensions diplomatiques.
Réfugié en Afrique du Sud et lui-même visé depuis 2006 par un des mandats d'arrêt de cette enquête, ce général, Faustin Kayumba Nyamwasa n'a pu être entendu à ce jour par la justice française.
En réponse, une commission rwandaise avait publié dans la foulée une liste de 22 officiers supérieurs français qu'elle accuse d'implication dans le génocide.
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