Au moins quatorze Rohingyas ont péri jeudi soir et des dizaines sont portés disparus dans le naufrage de leur embarcation dans le golfe Bengale. Ils fuyaient les violences contre la minorité musulmane à laquelle ils appartenaient en Birmanie voisine, considérées par l'ONU comme une épuration ethnique.
Entassés à l'arrière d'une camionnette sur une route défoncée de Shah Porir Dwip, localité située à la pointe sud du Bangladesh, sept cadavres de Rohingyas sont transportés pour finir leur dernier voyage dans cette terre qu'ils n'ont jamais réussi à atteindre de leur vivant.
Lavés, les corps ont été enveloppés dans des draps blancs ou violets. Les linceuls des enfants sont si petits.
Le convoi arrive au cimetière. Le lieu est dévoré par la végétation sauvage. Précautionneusement, les volontaires de l'école coranique des environs descendent les dépouilles des enfants. Ils les portent avec délicatesse dans leur bras.
Les habitants de Shah Porir Dwip connaissent bien ces tragédies.
Leur région est le premier point d'accès au Bangladesh des bateaux de Rohingyas qui remontent la côte de l'Etat Rakhine (ouest de la Birmanie) par le golfe du Bengale et les naufrages sont récurrents en cette saison d'exode.
Professeur à l'école coranique, Jashim Uddin a été réveillé à cinq heures du matin par un appel des gardes-côtes sur son portable. Les autorités lui demandaient d'envoyer son équipe pour prendre en charge les dépouilles charriées par les eaux.
Il a semblé au jeune homme revivre des scènes remontant à trois semaines auparavant, quand on avait eu recours à lui pour des corps de noyés en état de décomposition.
"Personne ne s'occupait d'eux, ne leur offrait des funérailles dignes. Je me suis senti si mal, ce sont des musulmans aussi, mes frères et soeurs", explique-t-il à l'AFP.
Prier sur la plage
Sous un soleil de plomb, les fossoyeurs ont creusé trois trous : un par adulte – le père et la mère d'Alif -, un pour les quatre enfants. Un homme écope au fond, de l'eau étant dégorgée par un sol assailli tous les jours par des pluies torrentielles.
Au son de l'appel à la prière de la mi-journée qui s'élève des minarets alentours, les restes sont descendus les uns après les autres dans les tombes.
La mise en terre est expéditive. A situation d'urgence, mesures d'urgence.
Une rapide prière est débitée à voix basse pour chacun des défunts. La plaque de bambou, normalement destinée à être placée au-dessus du corps avant qu'il ne soit recouvert, est remplacée par des herbes folles arrachées dans le cimetière.
À genoux, Alif pousse de ses mains la terre sur les linceuls de ses parents.
Il ne les avait pas vus depuis près de trente ans, lorsqu'il avait trouvé refuge dans les camps du Bangladesh. Face à l'actuelle campagne de répression de l'armée birmane, ses proches avaient fui la semaine dernière leur village au Rakhine et campaient sur les rivages birmans.
"Hier, ils m'ont appelé à 16h, me disant qu'ils étaient dans une situation très difficile, qu'ils n'avaient plus de nourriture, qu'ils ne savaient plus comment survivre. Je leur ai dit d'essayer de passer au Bangladesh, que j'allais m'occuper du reste", raconte-t-il à l'AFP entre deux sanglots.
Treize membres de la famille d'Alif étaient à bord de la barque qui a fait naufrage. Seuls quatre en ont réchappé.
"Je me sens si impuissant. Je vais juste aller sur la plage et prier Dieu de m'aider à retrouver les corps de mes soeurs, de mes beaux-frères et du reste de la famille pour que je puisse au moins les voir une dernière fois".
En une demi-heure, les enterrements sont terminés.
Soudain, tandis que l'assemblée commence à se disperser, Alif s'effondre sur l'herbe. De sa poitrine sort un hurlement déchirant, son visage se déforme sous la douleur, le chagrin.
L'homme arrive à peine à marcher. On l'aide à aller jusqu'au corbillard de fortune. Sa tête dodeline, il n'a plus la force de la tenir. Des rivières de larmes strient ses joues.
Le véhicule démarre et l'emporte. On entend encore longtemps résonner les cris d'Alif.
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