"En photographiant ce que des envoyés spéciaux s'interdiraient peut-être, ils nous confrontent à la brutalité de la guerre. C'est salutaire. A force de se dire (à Paris ndlr), +On ne montre pas d'enfant mort+, on se protège. Nos règles nous éloignent de la réalité", estime Lucas Menget, directeur adjoint de franceinfo, qui a couvert le Moyen-Orient, interrogé vendredi à la sortie de l'exposition de 40 clichés de 16 photographes syriens publiées de 2013 à 2017 par l'AFP.
"Les photos que j'ai prises me brisaient le coeur. Beaucoup n'ont pas été diffusées: personne ne pouvait les regarder. Mais il est important que le monde voie tous ces crimes", confie l'un d'entre eux, Karam Al-Masri, photographe et vidéaste de 26 ans.
Le jeune reporter a perdu ses parents pendant qu'il était prisonnier du groupe État islamique, après avoir été torturé par le régime. Ce lauréat de l'Istanbul Photo Awards et du Grand Prix Varenne en 2016 "s'ennuie" aujourd'hui à la Maison des journalistes de Paris, impatient de repartir en zone de guerre.
Nombre des photos exposées dans la paisible chapelle à pans de bois de la Tapisserie de Bayeux montrent des enfants, ensanglantés, morts ou hurlant de douleur face à un corps. Le coeur se serre en effet, mais le regard est soutenable. La lumière extérieure, tamisée par les vitraux de l'ancien édifice religieux, adoucit l'atmosphère.
Leur vécu "les rend un peu plus audacieux. Ils ne mettent pas de gants. Ils dévorent la scène", explique Rana Moussaoui, directrice adjointe, libanaise, du bureau de l'AFP à Beyrouth, auteure avec Karam Al-Masri de poignants récits, publiés sur le blog de l'AFP, sur le quotidien du jeune photographe, qui a parfois travaillé la faim, le froid et le désespoir au ventre.
"En mission éternelle"
"Sang ou pas, je veux montrer chaque seconde, chaque minute, chaque heure de ce conflit, afin que l'opinion internationale voie qu'il ne s'agit pas de chiffres mais d'âmes qui meurent", souligne de son côté Zakaria Abdelkafi, 21 ans, autre photographe syrien exposé. Le reporter, qui a perdu un oeil en Syrie, travaille aujourd'hui à Paris pour l'AFP et une agence turque.
"L'idée n'est pas d'empêcher les gens de dormir la nuit. Photographier des enfants, c'est difficile, moi-même je suis choqué, mais ça mobilise l'opinion. Je me sens obligé de le faire, malgré les problèmes avec les proches des victimes", témoigne Baraa Al-Halabi, 25 ans, dont le travail a été primé en 2015 par le FIPCOM, un concours international de photojournalisme créé par l'AFP et l'émirat de Fujairah (Émirats arabes unis).
Le jeune homme, qui a passé un mois dans les geôles syriennes, vit dans un foyer avec son épouse et leur enfant, au Havre, où il espère poursuivre sa carrière.
Les jeunes reporters restent modestes. "On ne fait pas de meilleures photos qu'un photographe chevronné. Mais un envoyé spécial dort à l'hôtel. Nous, on est en mission éternelle, jour et nuit, à la merci de l'explosion d'un baril", souligne Ameer Alhalbi, 21 ans, autre photographe exposé à Bayeux jusqu'au 29 octobre.
Le lauréat du Regard des jeunes de 15 ans, attribué mardi à Bayeux par un jury de 12.000 jeunes, a été blessé par deux balles en 2012.
"Un Syrien peut prendre plus de vérité parce qu'il connaît le terrain. En Irak, on aurait besoin de quelqu'un pour nous guider", ajoute Zakaria Abdelkafi.
"Ce que montrent ces photographes, ce n'est pas une exagération, au contraire", souligne Mme Moussaoui, qui connaît bien la Syrie.
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