Mise en scène par Johanny Bert et en musique par The Delano Orchestra, ce spectacle hybride entre concert et théâtre passe du récital d'art lyrique au concert pop-rock, en passant par le cabaret des années 30.
Sur scène, Emmanuelle Laborit, première comédienne sourde distinguée par un Molière, en 1993 pour son rôle dans la pièce Les enfants du silence, interprète en "chansigne" une vingtaine de chansons allant de "Carmen" de Bizet à "Back to Black" d'Amy Winehouse.
Oubliées les mélodies ancrées dans la mémoire collective de Serge Gainsbourg, Alain Bashung ou Donna Summer, c'est un autre rapport au chant que propose la comédienne aux entendants: avec ses mains adaptant les paroles en langue des signes, elle donne vie à l'infinie poésie des textes choisis.
"C'est comme un voyage d'Emmanuelle dans différents corps, libéré, sensuel, dominé, malmené ou violenté", explique Johanny Bert, artiste associé à la Comédie de Clermont, qui a voulu créer le spectacle après avoir rencontré la comédienne, "pour l'énergie qu'elle dégageait".
"Elle +signe+ du bout des cheveux jusqu'au bout des doigts de pieds. Quand on la voit, il y a tout qui vibre en elle. Emmanuelle a un rapport au corps beaucoup plus libre et affirmé que celui des entendants", souligne le metteur en scène, connu pour son travail sur les marionnettes.
Passerelle
Le spectacle, dont le titre est tiré d'une chanson de Brigitte Fontaine, évoque pêle-mêle l'avortement, la ménopause, les violences conjugales ou la masturbation, entre rire et émotion.
Côté gestuelle, Emmanuelle Laborit s'est inspirée de chanteuses iconiques comme Maria Callas, Edith Piaf ou Madonna, à la recherche de l'interprétation la plus évocatrice.
"Ce n'est pas une traduction littérale de la chanson en langue des signes. Il y a souvent beaucoup de jeux de mots, de rimes, de messages cachés. On a essayé de comprendre le sens de la chanson et de prendre en compte l'implicite en allant à la loupe dans un texte, en le décortiquant. L'important n'est pas de tout comprendre mais de ressentir une émotion", raconte Emmanuelle Laborit.
Est ensuite venu le temps du dialogue avec les cinq musiciens du Delano Orchestra qui l'accompagnent de leurs vibrations. "Quand je chantais au début, ils regardaient tous leurs instruments et rataient la moitié des choses. J'ai ri! Il a fallu qu'ils apprennent à jouer en me regardant", ajoute cette brune piquante et volubile au regard intense.
Si le spectacle ne se présente pas comme un projet pédagogique sur le handicap, il est une passerelle entre sourds et entendants, auxquels il s'adresse sans distinction avec un sous-titrage volontairement partiel.
"Sourde comme un pot", selon ses mots, la comédienne, dont l'autobiographie "Le Cri de la mouette" a été traduite en 14 langues, explique combien sa découverte de la langue des signes l'a ouverte au monde, alors que seuls 5% des enfants sourds scolarisés en France y sont formés.
"Beaucoup de sourds sont proches de l'illettrisme. Pourtant, c'est une véritable double richesse d'être bilingue. Chez moi, mon français et ma langue des signes se nourrissent l'un l'autre", fait valoir la directrice de l'International Visual Theatre, centre de la "culture sourde", où le spectacle est programmé tout le mois de novembre à Paris, avant la Comédie de l'Est à Colmar.
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