L'épreuve de force entre le gouvernement central et les dirigeants catalans, qui menacent de déclarer l'indépendance, a plongé l'Espagne dans sa crise la plus grave depuis le retour de la démocratie en 1977.
Dans une charge aussi rare que cinglante, Felipe VI a accusé les dirigeants catalans de s'être placés "en marge du droit et de la démocratie" en organisant le référendum de dimanche.
"Avec leur conduite irresponsable, ils peuvent même mettre en danger la stabilité de la Catalogne et de toute l'Espagne", a dit le souverain qui ne s'était pas exprimé sur la crise depuis dimanche.
L'Etat doit assurer "l'ordre constitutionnel en Catalogne", a-t-il ajouté dans une allocution télévisée.
Ce bref discours d'une fermeté sans précédent est le point d'orgue d'une journée marquée par des manifestations de masses en Catalogne, où les principaux syndicats avaient appelé à la grève générale.
Des centaines de milliers de personnes se sont mobilisées lors de manifestations d'étudiants, de pompiers ou de simples citoyens indignés par la violence dont ont fait usage la police nationale et la Garde civile contre les manifestants dimanche.
Selon la police locale, près de 700.000 personnes ont manifesté dans plusieurs défilés à Barcelone et de nouveaux cortèges se formaient dans la soirée.
"Dehors les forces d'occupation!", "Les rues seront toujours à nous!": les artères de Barcelone résonnaient de slogans hostiles à la police nationale et à la Garde civile, envoyées par Madrid.
En fin de journée sur le Paseo de Gracia, dans le centre, des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées au son des fanfares, des casseroles et de l'hymne nationaliste "L'estaca".
"Regardez! Il n'y aura pas de retour en arrière", a lancé Miriam Lao, 35 ans.
Des milliers de manifestants se dirigeaient vers le siège de la police nationale, mais un barrage de fourgons de police les empêchait de s'en approcher. "Ce bâtiment sera une bibliothèque", clame la foule dans un même souffle.
Et lorsqu'un manifestant lance "Vive la terre...", tous lui répondent: "...libre!".
'Direction très dangereuse'
Face à l'hostilité à leur égard, des centaines de gardes civils ont été forcés de quitter deux hôtels où ils étaient hébergés. Certains d'entre eux vont être relogés sur une base militaire près de la frontière française, selon José Cobo, porte-parole de l'association espagnole de gardes civils.
Ces cas de harcèlement ont poussé le ministre de l'Intérieur Juan Ignacio Zoido à accuser le gouvernement régional indépendantiste "d'inciter à la rébellion" dans la rue.
Pour l'analyste Javier Pérez Royo, professeur de droit constitutionnel à l'université de Séville, le gouvernement espagnol "perd le contrôle, c'est clair. Et il s'engage dans une direction très dangereuse".
Dans la journée de mardi, le port de Barcelone, troisième d'Espagne, et le marché alimentaire de gros de Catalogne, l'un des plus importants d'Europe, étaient quasiment à l'arrêt.
Le syndicat Pimec, première organisation patronale pour les PME de Catalogne, a annoncé que "54% des PME du territoire catalan ont arrêté leur activité durant toute la journée et 31% des entreprises ont eu recours à des arrêts partiels".
'Pas la majorité'
Les images des coups de matraque assénés par les policiers et les gardes civils dimanche ont fait le tour du monde.
En réaction, l'Union européenne a demandé lundi au gouvernement qu'il dialogue avec l'exécutif catalan, qui menace de faire une déclaration unilatérale dans les prochains jours faute de négociations.
"Personne en Europe ne peut demander (au gouvernement) de dialoguer sans respecter la Constitution", a répondu à Madrid le porte-parole du gouvernement espagnol, Inigo Mendez de Vigo.
L'Ecosse, où une majorité d'électeurs se sont prononcés contre l'indépendance lors d'un référendum en 2014, a appelé l'UE ou les Nations unies à intervenir pour dénouer la crise.
A en croire le gouvernement catalan, 90% des Catalans ayant participé à la consultation interdite de dimanche ont voté oui à la séparation avec l'Espagne. La participation a été supérieure à 42%, selon l'exécutif catalan.
Depuis 2010, l'indépendantisme a gagné du terrain en Catalogne, alimenté par la crise économique et par la suppression du Statut d'autonomie de la région par la Cour constitutionnelle, à la demande du Parti populaire (PP, conservateur) de Mariano Rajoy.
Cependant, les sondages montrent que les Catalans sont divisés sur l'indépendance : 41,1% pour et 49,4% contre, d'après la dernière enquête d'opinion publique du gouvernement catalan publiée en juillet.
"Les indépendantistes font beaucoup de bruit, il reflètent l'opinion de beaucoup de gens, mais pas de la majorité", dénonçait Joaquin, 55 ans, gérant d'une entreprise qui a préféré rester anonyme.
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