Au pays de Pelé, le foot est roi. Mais à Morro do Castro, une favela juchée sur une colline de Niteroi dans la proche banlieue de Rio de Janeiro, c'est le rugby qui a la cote.
Certes, la pelouse est loin d'être aussi verte que celle de Twickenham, le mythique stade londonien.
Et les joueurs n'ont pas vraiment de maillots, plutôt un mélange bariolé de t-shirts de couleurs différentes - certains sont même pieds nus.
Pas de poteaux de rugby non plus. Quand le ballon sort des limites du terrain, il tombe parfois dans un égout à ciel ouvert.
Et en cas de fusillade entre policiers et trafiquants de drogue - voire entre bandes rivales de narcotrafiquants -, les ados savent comment se protéger: en s'abritant sous un mur de béton derrière les buts.
Mais quand il s'agit de jouer, ces jeunes montrent une passion digne des terres les plus traditionnelles de l'ovalie.
Les passes sont vrillées avec soin. Les séquences de jeu bien huilées.
Leur version du haka, danse traditionnelle maori des All Blacks de Nouvelle-Zélande, est revisitée avec quelques trémoussements de samba...
Mais la rage de vaincre est intacte.
'Porte d'entrée'
À la fin de l'entraînement, Lucas Aquino Chagas, grand gaillard de 17 ans qui arbore fièrement des dreadlocks, sourit jusqu'aux oreilles. Son rêve ? "Jouer pour les All Blacks", répond-il sans hésitation.
Le Brésil, une nation de plus de 208 millions d'habitants, compte seulement 16.000 joueurs de rugby licenciés. Un grain de sable par rapport aux millions de footballeurs.
La plupart des jeunes rêvent d'imiter Neymar et de gagner des sommes astronomiques en jouant dans des grands clubs européens.
Mais à Morro do Castro, les rugbymen en herbe apprennent à sortir des sentiers battus. Ils sont guidés par Robert Malengreau, un Anglo-brésilien de 28 ans diplômé d'Oxford, qui a joué à bon niveau dans des divisions amateur en Angleterre.
Face à la dure réalité des favelas, souvent faite de violence, de pauvreté et d'exclusion sociale, il a fondé il y a quatre ans l'ONG UmRio.
Il a noué un partenariat avec une école de Morro do Castro, une favela qu'il considère "abandonnée" par le gouvernement, pour y ouvrir aux jeunes de nouveaux horizons, en leur inculquant les valeurs sportives.
Grâce à ses contacts dans les universités d'Oxford ou Cambridge, il est parvenu à attirer des joueurs issus de nombreux pays pour l'aider à dispenser certains entraînements. Les deux célèbres universités britanniques ont aussi offert des maillots de rugby.
L'impact est fort auprès des jeunes de la favela. "C'est comme si Oxford ou Cambridge disaient +les portes vous sont ouvertes+", estime Robert Malengreau.
De fait, son ONG va au-delà du ballon ovale.
Outre le rugby, Robert a fait venir dans la favela des dentistes et des médecins pour des consultations gratuites - à Morro do Castro, il n'y a qu'un dentiste pour 6.000 habitants.
Des bénévoles donnent aussi des cours d'anglais et l'objectif est que les jeunes progressent autant sur le terrain qu'à l'école.
Environ 400 enfants et adolescents ont déjà bénéficié des services de l'association.
Jeune garçon noir de 14 ans, Franklin Cruz a grandi en entendant dire que son seul horizon dans la vie serait de devenir ouvrier sous-payé dans la construction ou, s'il tourne mal, trafiquant de drogue.
Mais ses expériences liées au rugby l'ont rendu plus ambitieux: "Pourquoi ne pas devenir architecte, médecin ou avocat?", dit-il.
Filles et garçons
Robert Malengreau se souvient de la première fois où il est venu dans la favela, avec cinq grands costauds venus d'Oxford et un sac rempli de ballons ovales. Les habitants étaient "quelque peu médusés", dit-il.
Lucas le dit tout net: "Je n'avais jamais entendu parler de rugby". Le plus grand choc culturel, raconte ce joueur de 17 ans, c'est quand le coach a crié sur ces adolescents habitués au foot: "Non! Arrêtez de shooter dans le ballon!"
L'ONG met en avant les valeurs collectives du rugby, sport considéré comme moins individualiste que le foot et dans lequel il n'est pas question que les joueurs s'en prennent aux arbitres.
Le projet social s'attaque également aux relents machistes de la société brésilienne: filles et garçons jouent ensemble au "touch rugby", version sans plaquage du sport.
Deux équipes ont été formées pour participer récemment à un tournoi de Beach rugby sur la plage des quartier chics de Niteroi.
L'une d'elles a brillamment remporté le trophée, arborant des maillots blancs rayés de gris offerts par l'université de Cambridge.
Mais pour Janaina Trancoso, 40 ans et mère d'une des joueuses, la plus grande victoire est la lueur d'espoir pour ces jeunes qui n'auraient jamais imaginer sortir de l'isolement de la favela. "Une porte s'est ouverte pour eux. Avec le temps, ils vont comprendre que le monde est grand et qu'il y a d'autres possibilités."
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